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CROSBIE, sir JOHN CHALKER, homme d’affaires et homme politique, né le 11 septembre 1876 à Brigus, Terre-Neuve, fils de George Graham Crosbie et de Martha Ellen Chalker ; le 5 septembre 1899, il épousa à Exploits, Terre-Neuve, Mitchie Ann Manuel, et ils eurent six fils et sept filles ; décédé le 5 octobre 1932 à St John’s.
En 1858, George Graham Crosbie, né en Écosse, quitta le Nouveau-Brunswick, où il avait immigré encore enfant, pour travailler à Terre-Neuve comme plâtrier à Harbour Grace, ville en reconstruction à la suite d’un incendie. Il se lança par la suite en affaires à Brigus : il achetait des goélettes qu’il envoyait sur la côte du Labrador et approvisionnait d’autres bateaux de pêche dans ce secteur. En 1884, un fléchissement du commerce l’incita à partir s’installer avec sa famille à St John’s, où il acheta un hôtel. Après l’incendie des 8 et 9 juillet 1892 [V. Moses Monroe*] qui détruisit son édifice, Crosbie en bâtit un autre, plus spacieux. Le Crosbie Hotel ouvrit ses portes en décembre 1894, juste au moment où les deux banques privées de l’île firent faillite [V. James Goodfellow*]. Le surmenage et les soucis financiers ébranlèrent ses forces et il mourut trois mois plus tard.
L’avant-dernier de ses huit enfants, John Chalker Crosbie, avait obtenu son diplôme du Methodist College de St John’s en 1892. Il renonça à son ambition de devenir médecin afin d’aider à rebâtir l’hôtel et d’en prendre la direction, mais découvrit rapidement que le métier de plâtrier n’était pas pour lui. Juste avant son vingt-troisième anniversaire de naissance, il épousa Mitchie Ann Manuel, fidèle de l’église méthodiste Cochrane Street, où les Crosbie pratiquaient leurs dévotions. Femme déterminée, Mitchie Ann était issue d’une famille réputée de constructeurs de navires.
En 1900, en partenariat avec sa belle-famille, Crosbie démarra, sous le nom de Crosbie and Company, un commerce de fruits, de légumes et de denrées comestibles. Trois ans plus tard, les Manuel renoncèrent à leurs intérêts et Crosbie, « un battant » doté d’une « capacité considérable pour les affaires », selon le Daily News, étendit bientôt son champ d’action à l’exportation de poisson. Pour ce faire, le 21 août 1905, il constitua la Newfoundland Produce Company Limited, entreprise dont il partageait la propriété à parts égales avec les courtiers britanniques de la firme Holmwood and Holmwood et dont il devint président. La Crosbie and Company poursuivit ses activités, alors en grande partie comme firme d’armateurs et d’agents maritimes. En février 1914, Crosbie deviendrait l’unique propriétaire de la Newfoundland Produce Company Limited et confierait aux Holmwood la vente de poisson en son nom dans le sud de l’Europe et au Brésil. En 1909, il possédait cinq navires long-courriers ; en 1920, la Newfoundland Produce Company Limited exploitait déjà trois vapeurs et quatre trois-mâts goélettes.
Aux élections générales du 31 octobre 1904, sous l’influence de son avocat de St John’s, Donald Morison, Crosbie avait décidé de se porter candidat à la Chambre d’assemblée dans la circonscription à deux sièges de Bay de Verde. Il se présenta sous la bannière du United Opposition Party, mené par sir William Vallance Whiteway*, sir James Spearman Winter*, Augustus Frederick Goodridge, Alfred Bishop Morine* et Morison lui-même, tous réunis par leur volonté de déloger le premier ministre libéral sir Robert Bond*. Crosbie perdit par 20 voix seulement et prédit avec assurance qu’il serait vainqueur au prochain scrutin.
Lorsque les Terre-Neuviens retournèrent aux urnes, le 2 novembre 1908, le People’s Party de sir Edward Patrick Morris obtint le même nombre de voix que le Parti libéral de Bond, et Crosbie triompha dans Bay de Verde. Après la démission de Bond, le 3 mars 1909, Morris s’assura le soutien de Crosbie en le nommant ministre sans portefeuille, poste qu’il conserva après d’autres élections, le 8 mai 1909. L’événement le plus marquant de la deuxième campagne s’était déroulé le 30 avril, quand un partisan de Crosbie poussa Bond à l’eau dans le port de Western Bay. Ce dernier tint Crosbie responsable et poursuivit les deux hommes pour voies de fait graves. Il eut raison de son assaillant, mais la cause de Crosbie, entendue le 28 mai, fut rejetée faute de preuve suffisante. Le tapage associé à Crosbie au cours de ces élections et son utilisation d’alcool pour susciter l’adhésion des électeurs deviendraient des tactiques courantes. À la Chambre, Crosbie soutenait fermement Morris dans sa politique de créations de chemins de fer secondaires. Son influence aida à persuader la Reid Newfoundland Company Limited [V. sir William Duff Reid*] d’amorcer la construction d’un embranchement de la ligne transinsulaire principale jusqu’à Bay de Verde.
En dépit de son statut de ministre, Crosbie soumissionna au nom de la Newfoundland Produce Company Limited pour un contrat public de service de vapeurs côtiers. Au début de 1910, ayant réussi à obtenir des routes de navigation dans les districts de Fogo et de Fortune Bay, la société fit bientôt construire un nouveau navire. Comme elle avait besoin d’installations portuaires plus vastes et en eaux plus profondes à St John’s, elle y acheta, en décembre, des terres qui avaient autrefois appartenu au magnat du poisson Edwin Duder*. Cette année-là, la Newfoundland Produce Company Limited devint l’agent local de l’entreprise Holmwood and Holmwood, en offrant une assurance-incendie et une assurance maritime « spécialisée dans les risques en petits ports isolés ». Elle représentait également la Lloyd’s of London. En 1914, l’entreprise était la première exportatrice de morue au Brésil, le plus important marché pour le poisson salé de Terre-Neuve.
La notoriété de Crosbie sur la scène publique s’accrut parallèlement à l’essor de la carrière de William Ford Coaker, président du Fishermen’s Protective Union of Newfoundland (FPU). Coaker s’opposait à la manière de Crosbie de mêler gouvernement et activités commerciales, mais avec le soutien de son premier ministre (titre que Morris avait commencé à utiliser en 1909), Crosbie résista aisément aux requêtes de Coaker adressées au gouverneur, sir Ralph Champneys Williams, de le retirer du cabinet. Fruit du hasard ou non, les bateaux de Crosbie naviguant le long du littoral nord-est, où le FPU dominait, étaient parfois incapables de charger le poisson du syndicat pour le transporter à St John’s.
Aux élections d’octobre 1913, le Union Party du FPU s’opposa énergiquement à la candidature de Crosbie dans Bay de Verde, mais celui-ci remporta la victoire de justesse en arrivant deuxième, derrière le candidat libéral-unioniste, Albert Edgar Hickman*. Pendant la campagne, Coaker avait embelli une histoire qu’il avait racontée antérieurement dans son hebdomadaire, le Fishermen’s Advocate, selon laquelle Crosbie avait acheté au gouvernement, pour la somme de 28 $, deux espars et un ensemble de cordage qu’il lui avait revendus 2 200 $. « Pour être honnête, déclara alors Coaker, ce n’est pas exact ; il faut reconnaître qu’il a acheté une épave au complet, y compris les espars, pour 28 $. » Crosbie avait effrontément fait campagne en se présentant comme « le jeune homme qui avait vendu les espars ». Son succès à l’élection s’expliquait en partie par l’avancement constant de la construction de l’embranchement ferroviaire dans sa circonscription ; Coaker, cependant, l’attribuait à son détournement de fonds publics et à sa généreuse distribution d’alcool.
Débatteur occasionnel à la Chambre, Crosbie était plus connu pour sa finesse d’esprit que pour une quelconque verbosité. Au début de 1913, le gouverneur Walter Edward Davidson écrivit dans son journal intime qu’il « combinait la ténacité écossaise et l’esbroufe américaine tout en étant l’un de ces hommes francs, qui sont dévoués corps et âme à leurs affaires et prompts à la dispute, mais qu’on peut tout de même mener plus facilement si on sait les prendre du bon côté ». Il était « malheureusement en politique et, comme il l’[était] contre son gré, [il] aim[ait] la bagarre électorale et ne [pouvait] supporter d’y renoncer ». Coaker avait été élu en 1913 et sa présence à la Chambre signifiait que Crosbie ne pouvait plus, comme il l’affirma en 1914, le traiter avec le « mépris silencieux qu’[il] avai[t] manifesté au cours des quatre dernières années ». Cette année-là, dans un affrontement mémorable, Crosbie répliqua à Coaker, qui s’était vanté d’avoir augmenté le prix du poisson payé aux pêcheurs, en citant Shakespeare : « Il arrivera que tout fanfaron sera convaincu à la fin d’être un âne. » Crosbie rassembla les données d’exportation de la dernière décennie pour démontrer que c’était la demande du marché qui déterminait la somme que les pêcheurs recevaient pour leurs prises. Quant aux allégations de Coaker sur les espars, il maintint qu’« un homme capable de tels mensonges est passablement méprisable en tout ».
En 1917, un manque de tonnage, résultat de la Première Guerre mondiale, avait rapproché Crosbie et Coaker pour garder l’économie coloniale à flot. Crosbie demeura ministre sans portefeuille au sein du gouvernement de coalition formé par Morris le 17 juillet de cette année-là. À la suggestion de Coaker, le gouvernement créa, le 19 juillet, un sous-comité du Conseil exécutif, le comité du tonnage, composé de Crosbie comme président et de Coaker et Hickman comme autres membres. La mission du comité était de trouver des marchés et des moyens de transport pour le poisson, et d’assurer l’approvisionnement de l’île en sel et en charbon. La responsabilité administrative incomba à Crosbie et, pendant le reste de l’année, il « travailla sans relâche », selon Coaker, pour réaliser les objectifs du comité, et son « énergie et [son] expérience » furent essentielles à ses travaux.
Le comité s’attaqua en premier lieu à la pénurie de sel en réglementant la vente de tout le sel que détenaient les marchands. Dans le but d’accroître le tonnage pour les exportations de poisson vers le sud de l’Europe, l’organisme fit acheter deux vapeurs en Grande-Bretagne, mais l’Amirauté en bloqua le transfert. Le comité nolisa alors un navire norvégien, qui fut malheureusement torpillé avant d’atteindre Terre-Neuve. On trouva un autre vapeur, mais il s’avéra difficile de faire assurer les marchandises ; le comité résolut le problème en persuadant le gouvernement britannique de fournir la police d’assurance nécessaire. Lorsque Crosbie et ses collègues furent en mesure de disposer du tonnage suffisant pour expédier une cargaison de poisson en Italie, le même problème d’assurance surgit. Le comité demanda cette fois au gouvernement de Terre-Neuve d’intervenir. Il garantissait également aux pêcheurs un prix minimal en refusant d’assurer les marchands qui achetaient à un prix inférieur. De plus, le gouvernement encouragea la mise sur pied d’une industrie locale de construction navale et réquisitionna au besoin des navires privés, pour apporter du sel et du charbon de la Nouvelle-Écosse, par exemple. Les vapeurs côtiers de Crosbie étaient utilisés pour le service public. Même si Hickman critiqua sévèrement Crosbie pour sa gestion de la question du tonnage, le gouverneur, sir Walter Edward Davidson, rendit publiquement hommage au comité pour l’ensemble de ses réalisations avant de quitter Terre-Neuve en décembre 1917.
Le 2 janvier 1918, la démission de Morris de son poste de premier ministre devint officielle. Trois jours plus tard, William Frederick Lloyd forma un cabinet au sein duquel siégeaient les amis de fraîche date Coaker et Crosbie, ainsi que Michael Patrick Cashin*. Coaker déclara au sujet de Crosbie : « [il] n’est pas un homme avec qui [il est] difficile de travailler. Il [est] franc, ne parle pas comme un ange devant quelqu’un pour ensuite lui donner un coup de couteau dans le dos. M. Crosbie est compétent, expérimenté et débordant d’énergie. S’il a des défauts, le monde entier les connaît. » Le 18 janvier 1918, en raison du volume de travail à abattre par le comité du tonnage, le gouvernement mit sur pied le ministère de la Marine marchande, en vertu du War Measures Act of 1914. Crosbie en était le directeur intérimaire, assisté de Cashin, Coaker et Hickman. Un projet de loi adopté au printemps créa officiellement la nouvelle entité en la dotant de pouvoirs élargis, et Crosbie en fut nommé ministre le 13 mai 1918. Le ministère était maître de tout le transport à destination ou en partance de Terre-Neuve ; il réglementait également le fret, l’assurance maritime, ainsi que l’importation et la vente de sel et de charbon. Crosbie exerça un rôle médiateur puissant au sein du gouvernement. Premièrement, il dissuada Coaker de confier au cabinet le soin de fixer un prix pour l’huile de phoque auquel s’opposaient fermement les marchands ; ceux-ci donnèrent alors volontiers leur accord sur un prix à la fois acceptable pour Coaker et avantageux pour eux. Deuxièmement, en avril 1918, il convainquit la Reid Newfoundland Company Limited, aux prises avec une grève de la Newfoundland Industrial Workers’ Association [V. Philip Bennett*], de négocier un compromis avec le syndicat.
À partir de la fin de 1918, le défi le plus important que Crosbie eut à relever fut l’existence, en Italie, d’un cartel parrainé par le gouvernement, institué en septembre en vue de régir les achats de poisson et d’en fixer le prix. Au début de 1919, Crosbie présida un comité de quatre grands exportateurs formé pour établir les prix minimaux auxquels le poisson serait vendu en Italie, en Grèce et au Brésil. Ce comité persuada une vingtaine de marchands de travailler ensemble pour coordonner leurs expéditions outre-mer et de stabiliser ainsi le commerce. Ces derniers finirent par trouver un débouché dans d’autres pays pour plus de 200 000 quintaux de poisson qui étaient destinés à l’Italie avant la constitution de son cartel. Crosbie n’essaya jamais de s’ingérer dans la question du prix du poisson, excepté pour le Brésil, où le financement du marché était différent ; il demanda alors aux marchands de maintenir les prix fixés pour les acheteurs. Par ses interventions, le comité réussit à prévenir un effondrement imminent des marchés, même si la situation restait insatisfaisante pour l’Italie et la Grèce.
La chute du gouvernement de coalition en mai 1919 entraîna la formation d’un nouveau gouvernement libéral-progressiste sous la direction de Cashin. Crosbie avait souhaité se retirer de la vie politique, mais Cashin le persuada de rester en lui promettant de recommander sa candidature pour l’obtention d’un titre de chevalier, qui fut annoncé le 3 juin 1919 dans la liste des distinctions honorifiques publiée à l’occasion de l’anniversaire du roi. Les problèmes relatifs à la pêche demeuraient aigus. Le 7 juillet, le Bureau de commerce de Terre-Neuve demanda à Crosbie de former un comité d’exportateurs pour coordonner volontairement le prix, la qualité et la quantité de poisson qu’ils expédieraient à la Grèce et à l’Italie. À la suggestion de Crosbie, les exportateurs mirent au point un système d’inspection du poisson qui reçut son approbation. Comme des élections étaient imminentes, le cabinet refusa cependant d’approuver le plan, parce que ses membres s’opposaient en général à la réglementation de la pêche. Le comité fut dissous, mais Crosbie encouragea les gens d’affaires du secteur à apporter leur collaboration dans les négociations avec un courtier en poisson britannique basé en Europe, George Hawes, en vue de conclure une vente avec le cartel italien.
Comme il s’était déjà engagé à se porter candidat pour le gouvernement aux élections générales du 3 novembre 1919, Crosbie déclina la proposition de Coaker de prendre la tête d’un parti qui réunirait unionistes et « cashinistes », préférant rester auprès de son chef et s’opposer au Parti libéral réformiste que dirigeait Richard Anderson Squires. Il partit s’installer dans sa circonscription natale de Port de Grave pour accommoder Hickman, candidat du parti au pouvoir dans Bay de Verde, et y défit le candidat unioniste sortant, George Frederick Arthur Grimes*. Les libéraux réformistes, alliés aux unionistes, remportèrent l’élection et seuls 12 membres de l’opposition furent élus.
Coaker devint ministre de la Marine et des Pêches dans le gouvernement de Squires et, rapidement, le 20 novembre, mit en vigueur des règlements fixant le prix minimal du poisson, exigeant des permis d’exportation et stipulant que toute vente de poisson à l’Italie devait être réalisée par l’entremise de Hawes. Partisan des lois de l’offre et de la demande, Crosbie alléguait que fixer les prix était « dangereux, malveillant et compliqué ». Même s’il était lui-même intervenu pour réglementer les prix pour le Brésil, la mesure était temporaire et délibérée (elle était aussi à son avantage, car il brassait de grosses affaires avec ce pays). Crosbie s’opposait fortement à l’idée d’accorder à Hawes la mainmise sur le marché de l’Europe. Pour mener son commerce, il préférait rester avec ses propres courtiers. En janvier 1920, l’échec de Hawes pour obtenir du cartel italien un prix plus élevé ne fit que confirmer dans son esprit que le plan de Coaker provoquerait la débâcle financière de Terre-Neuve. Préoccupé du fait que les règlements feraient peut-être diminuer les prix outre-mer, Crosbie vendait son poisson localement. Comme il le confia à ses collègues exportateurs de poisson en février 1920 : « Si je peux vendre mon poisson, je pense qu’on devrait me permettre d’être satisfait de mon profit, ou de mes pertes […] Je pense qu’on devrait me permettre de mener mes propres affaires. »
Même si Crosbie s’opposait au projet de loi instaurant les réformes sur la pêche proposées par le FPU, il était absent de la Chambre en mai lorsque le projet de loi sur l’exportation de la morue, qui deviendrait le Codfish Exportation Act of 1920, fut adopté par un vote unanime. Selon Crosbie, le maintien des prix fixés permettrait aux concurrents de Terre-Neuve – la Norvège, l’Islande et la France – de vendre leur poisson à moindre prix, réduisant ainsi la part de l’île sur le marché européen. Coaker répondit que la présence du cartel en Italie signifiait qu’il n’existait aucun marché libre et qu’il était donc nécessaire que le gouvernement ait un droit de regard sur les ventes à ce pays. En décembre 1920, la réglementation sur le poisson s’écroula quand Hickman enfreignit la loi en vendant du poisson à l’Italie à un prix moindre que celui dicté par le gouvernement. Les dissensions au sein des milieux commerçants de Terre-Neuve enhardirent les acheteurs de poisson italiens à travailler de concert avec les opposants à la réglementation en vue de l’affaiblir et, à terme, de l’abolir. Au début de 1921, la réglementation fut retirée et, en juillet, la loi abrogée.
Entre-temps, Coaker était devenu mécontent de ses liens politiques avec Squires. Son insatisfaction le mena à nouer des contacts avec Crosbie, dont les relations avec Cashin s’étaient également tendues. Comme Crosbie avait apparemment aspiré à prendre la tête de l’opposition à la fin de 1920, la rumeur courait alors qu’il envisageait de siéger à titre d’indépendant. Les rapprochements avec Crosbie prirent bientôt fin, car Coaker n’était pas certain que tous ses députés unionistes le suivraient dans une nouvelle alliance ; de plus, le désaccord régnait parmi les membres de l’opposition, qui devaient décider qui de Crosbie ou de John Robert Bennett* devait en être le chef. Les relations entre Crosbie et Coaker se détériorèrent rapidement par la suite. À la mi-mai, l’animosité de Crosbie envers Coaker atteignit un point tel que Cashin et lui réussirent à convaincre le gouverneur, sir Charles Alexander Harris, d’instituer une enquête sur la tentative du gouvernement, en 1920, de satisfaire les pêcheurs en organisant l’achat de leur poisson par des entreprises choisies, entre autres la Fishermen’s Union Trading Company (généralement appelée Union Trading Company).
Crosbie était absent pendant la session législative de 1922, à la fois pour des raisons de santé et pour effectuer un voyage en Europe, afin d’y explorer les marchés et de déterminer le « moyen le plus rentable de gérer [la] ressource principale [de Terre-Neuve] ». Au cours d’élections subséquentes, on l’accablerait de reproches pour avoir été rémunéré malgré son absence. À son retour, il écrivit à la presse pour dénoncer le système de consignation, pratique selon laquelle les exportateurs confiaient le poisson invendu à des agents, tel Hawes, moyennant une avance sur les ventes, et pour appuyer les ventes à forfait, que préféraient les courtiers en poisson de Londres, pleins de ressentiment envers Hawes, qui cherchait alors à dominer les marchés de l’Italie et de la Grèce. Coaker, qui s’opposait lui aussi à la consignation, répliqua en invitant Crosbie à prendre l’initiative pour concevoir un système de ventes à forfait. Même si Coaker et Crosbie semblaient se rapprocher, une alliance politique était impossible, car Crosbie soutenait, tout comme Samuel Harris* et d’autres, que les règlements de Coaker avaient ruiné les entreprises de pêche locales en 1920 et nui à l’économie de St John’s.
En juin 1922, la commission d’enquête sur les activités de Coaker en 1920 disculpa le ministre de la Marine et des Pêches. Crosbie se tourna alors vers l’ennemi juré de Coaker, Morine, pour susciter la grogne dans les rangs du FPU en encourageant le United Fishermen’s Movement, nouvellement formé, dans le bastion de Coaker, Bonavista Bay. Aux élections de mai 1923, Crosbie brigua les suffrages dans son ancienne circonscription de Bay de Verde sous la bannière du Parti libéral progressiste, que dirigeait alors John Robert Bennett, dont le fils aîné épouserait en septembre l’aînée des filles encore en vie de Crosbie. L’opposition fit de Coaker l’un des principaux enjeux de l’élection. De son côté, le gouvernement fit valoir l’exploitation du trésor public par Crosbie et d’autres personnes entre 1909 et 1919 (les opposants de Crosbie l’avaient longtemps blâmé de se vanter d’être au gouvernement par intérêt, même si, sur ce plan, il n’était probablement pas plus vénal que d’autres entrepreneurs qui étaient en politique à l’époque) ; les libéraux réformistes insistèrent aussi tout particulièrement sur les tactiques d’« intimidation » de Crosbie, qui menaçait d’acheter du poisson « d’aucun des habitants de Bay de Verde » à moins qu’ils ne votent pour lui. Crosbie et son colistier, John Charles Puddester*, essuyèrent une défaite entachée, selon les mots de Crosbie, par « des malversations et une corruption de la pire espèce dans l’histoire de ce pays ou de tout autre pays ».
Le gouvernement de Squires, réélu, fut bientôt ébranlé par des accusations de corruption. Un gouvernement libéral réformiste, dirigé par William Robertson Warren, le remplaça en juillet 1923, mais tomba en mai de l’année suivante, et Hickman, successeur de Bennett comme chef de l’opposition, devint premier ministre. Walter Stanley Monroe* et les libéraux conservateurs remportèrent les élections générales suivantes. Crosbie se fit élire dans St John’s West pour le groupe de Monroe, après avoir été récemment blanchi par le vérificateur général des accusations publiées par le quotidien du FPU, l’Evening Advocate, selon lesquelles il aurait donné des instructions à un intermédiaire de payer une facture en souffrance pour des articles qu’il avait reçus du commis au contrôle des alcools gouvernemental. Il y eut cependant du tapage quand ses partisans, émoustillés par l’alcool, perturbèrent les réunions de ses opposants.
À titre de ministre des Finances et des Douanes dans le nouveau gouvernement, Crosbie s’attaqua à la situation financière précaire de Terre-Neuve en diminuant les dépenses, en améliorant l’encaissement des recettes publiques et en luttant contre l’évasion des droits de douane largement répandue. Les taxes supprimées par le gouvernement Warren en 1924 s’appliquèrent de nouveau sur les denrées alimentaires et le matériel de pêche ; l’impôt sur le revenu, mis en vigueur pendant la guerre et peu respecté, fut aboli ; les impôts sur les banques furent réduits, disposition qui fut considérée comme ne bénéficiant qu’aux riches. Crosbie instaura également une réforme tarifaire substantielle, résultant en grande partie des travaux d’une commission désignée par Squires, qui fit augmenter les droits de douane sur des articles tels que le tabac, la corde, la ficelle, le beurre et la margarine. L’opposition accusa les ministres clés du gouvernement d’agir pour leur avantage personnel en cette matière. Le premier ministre, par exemple, possédait de gros intérêts dans des entreprises de tabac et de cordage. Peu après l’acceptation du budget, Crosbie, toujours à l’affût d’une occasion d’affaires, créa une fabrique de margarine à St John’s. La Newfoundland Butter Company Limited, qui relèverait plus tard de la compétence de son fils George Graham, implanta un régime d’assurance médicale et un régime de pension pour ses employés, mesure progressiste pour l’époque.
Le 21 janvier 1926, Crosbie retourna à St John’s après un séjour en Angleterre, au cours duquel il avait parachevé les arrangements pour obtenir un prêt de 6 millions de dollars autorisé par le gouvernement en 1924. Son retour coïncida avec un procès en diffamation qu’il avait porté devant la Cour suprême en 1925 contre le Fishermen’s Advocate qui l’avait accusé d’avoir escroqué son propre ministère de 20 000 $ par évasion des droits de douane sur des cigarettes importées. La cause fit sensation et le public la suivit attentivement. Crosbie se présenta à la barre des témoins pour se défendre. Il fut innocenté le 19 février 1926 et le journal fut condamné à une amende de 500 $.
En décembre 1926, Crosbie informa Monroe en privé que les emprunts devaient être réduits de façon importante, car Terre-Neuve était au bord de la faillite en raison des remboursements de sa dette considérable qui, en 1927, se chiffrait à 68 millions de dollars. Un nouveau prêt de 5 millions de dollars fut néanmoins autorisé. Contrarié par les difficultés à équilibrer le budget, Crosbie perdit son enthousiasme pour la politique. Il ne se présenta pas au scrutin de 1928, au cours duquel le gouvernement de Frederick Charles Munro Alderdice, successeur de Monroe, fut défait par Squires et ses libéraux. Même si Crosbie demeurait une force politique puissante, l’intérêt qui lui restait pour le gouvernement passa sans nul doute au second plan avec la perte de 250 000 $ qu’il subit pendant le krach du marché boursier de 1929.
Au début de 1932, Crosbie se soumit à un examen médical complet avant de contracter une police d’assurance-vie de 300 000 $. Peu après, sa santé se détériora ; ce déclin fut sans doute aggravé par le fait qu’il s’adonnait depuis longtemps à la boisson. Plus tard cette année-là, il tomba malade et mourut au St John’s General Hospital. L’assurance et des biens évalués à 122 325,31 $ permettraient à la veuve de « Spars » (pour « espars ») Crosbie et à son fils aîné, Chesley Arthur*, de mettre de l’ordre dans ses affaires et de continuer à faire fructifier l’héritage qu’il avait laissé. Sa famille, qui occupe toujours une place prépondérante à Terre-Neuve, fait partie de son legs. Ses cinq fils qui atteignirent l’âge adulte mèneraient tous de brillantes carrières ; parmi ses filles, Elizabeth Vera*, qui épousa le journaliste Albert Benjamin Perlin*, se distinguerait par son travail auprès de jeunes déficients intellectuels.
Dans son commentaire à la suite du décès de sir John Chalker Crosbie, Coaker écrivit que, à titre de ministre, cet homme résolu « avait toujours confiance en son jugement et défendait courageusement ses opinions. Pendant les années de guerre, il utilisa ses talents exceptionnels et son énergie pour surmonter de nombreux obstacles [… et] il rendit ses plus éminents services à l’État durant la période où il fut ministre de la Marine marchande. » Comme homme d’affaires, poursuivit Coaker, Crosbie « ne faisait pas de cadeau […] Il exigeait son dû impitoyablement, mais il était plus enclin à faire le bien que le mal. »
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Melvin Baker, « CROSBIE, sir JOHN CHALKER », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 2 oct. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/crosbie_john_chalker_16F.html.
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Auteur de l'article: | Melvin Baker |
Titre de l'article: | CROSBIE, sir JOHN CHALKER |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2016 |
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