CHAMBERLAIN, THEOPHILUS, soldat, juge de paix, arpenteur et fonctionnaire, né le 20 ou le 27 octobre 1737 à Northfield, Massachusetts, quatrième fils d’Ephraim Chamberlain et d’Anne Merriman ; le 15 mai 1768, il épousa, apparemment à Danbury, Connecticut, Editha White, et ils eurent deux enfants, puis le 24 décembre 1781 Lamira Humphraville, et de ce mariage naquirent huit enfants ; décédé le 20 juillet 1824 à Preston, Nouvelle-Écosse.

Les Chamberlain avaient le sens du devoir. Ephraim, qui était forgeron, fut tué pendant l’expédition de la Nouvelle-Angleterre à Louisbourg, île Royale (île du Cap-Breton), en 1745. Theophilus, qui avait alors sept ans, fut adopté par un de ses oncles qui se chargea de le faire instruire. Durant la guerre de Sept Ans, le jeune homme servit parmi les Burke’s Rangers. Chamberlain était indubitablement ingénieux, résolu et en bonne forme physique ; mais il est impossible qu’un seul homme ait réalisé, durant les quelques années qui suivirent, tout ce que deux sources divergentes lui attribuent.

Les récits s’accordent à reconnaître que les rangers rejoignirent les Britanniques au fort William Henry (appelé aussi fort George ; aujourd’hui Lake George, New York), où Chamberlain participa aux combats et aux missions de reconnaissance. Lors d’une escarmouche, il fut l’un des deux survivants. Après la chute du fort aux mains de Louis-Joseph de Montcalm* en août 1757, les Indiens alliés aux Français capturèrent une partie de la garnison britannique. En arrivant à Montréal au bout d’une marche jusqu’au campement indien, plusieurs prisonniers s’enfuirent, sous la direction de Chamberlain, à l’intérieur de la ville. Il fut, avec un ami, abrité par un des interprètes de Montcalm, originaire de Northfield. Déguisés en femmes, les deux évadés furent escortés jusqu’à une prison avoisinante pour éviter une nouvelle arrestation ; ils furent ensuite transférés à Québec. À partir de ce stade, les récits diffèrent, mais Chamberlain et un autre homme de Northfield furent vraisemblablement l’objet d’un échange contre des prisonniers français, pour être ensuite envoyés à Halifax où ils arrivèrent en octobre 1757. Chamberlain y travailla alors dans une auberge ; en février 1758, il avait déjà fait assez d’économies pour payer son passage vers Boston.

Après avoir rejoint ses parents adoptifs à South Hadley, au Massachusetts, où ils s’étaient installés, Chamberlain devint contremaître à la tannerie de son oncle. Quelques années plus tard, il réussit à entrer au Yale College où il obtint une licence ès arts en 1765. Après avoir étudié la théologie sous la direction du révérend Eleazar Wheelock à Lebanon, au Connecticut, il fut ordonné ministre congrégationaliste le 29 avril 1765 et fut immédiatement envoyé avec un confrère auprès des Six-Nations de la colonie de New York. Mais en septembre 1767, il enseignait déjà dans une école latine privée, à Boston. Durant une courte période, il fut aussi ministre d’une congrégation presbytérienne à Worcester, au Massachusetts.

Entre-temps, Chamberlain s’était intéressé aux enseignements de Robert Sandeman. En 1768, il fut ordonné évêque sandemanien, se maria et s’installa à Danbury où il ouvrit un commerce de vêtements. Le sandemanisme insistait sur le salut personnel, et le groupe de Danbury se distinguait par sa conscience religieuse aiguë et par ses convictions profondes concernant le devoir civique. Une vague de persécution déferla vers 1770, lorsque Chamberlain se retrouva, avec d’autres sandemaniens, devant les tribunaux pour ne pas avoir tenu compte des avis qui leur enjoignaient de quitter la ville. Pendant les mois qui suivirent cette comparution, la majeure partie du groupe alla s’installer à New Haven, au Connecticut. Là, Chamberlain ouvrit un magasin de tissus et d’articles de mercerie, qu’il ne tarda pas à abandonner pour retourner à l’enseignement en 1772. Les sandemaniens, dont la foi exigeait qu’ils obéissent à l’autorité établie, se trouvèrent dans une situation difficile : la révolution s’amorçait et les habitants de la ville leur manifestaient de l’hostilité. Pour avoir refusé de souscrire à un fonds de guerre, certains d’entre eux, dont Chamberlain, furent emprisonnés ; libérés ensuite, ils eurent le droit de se rendre en territoire sous domination britannique. Chamberlain et sa famille s’établirent dans une ferme près de Bedford Village, dans la colonie de New York. En 1776, il perdit son fils en bas âge puis, en 1779, sa femme. Il se remaria deux ans plus tard et, en 1782, il était retourné à l’enseignement, cette fois dans une école privée de New York.

Tandis que l’occupation britannique tirait à sa fin, Chamberlain accepta de sir Guy Carleton* une commission de capitaine dans la milice de la ville, ainsi que la responsabilité d’organiser le transport d’un groupe de réfugiés à Halifax. Il s’y rendit avec sa famille et des amis au début de l’automne de 1783. Presque aussitôt, il reçut une commission de juge de paix, fut nommé arpenteur adjoint et désigné pour faire le tracé d’un nouveau canton à l’est de Dartmouth. Il fut également nommé agent de distribution des terres de cette région qui ne pouvait s’enorgueillir à l’époque que d’une poignée de propriétaires isolés venant de l’établissement de Dartmouth. L’octroi de la concession en décembre 1784 donna à Chamberlain et à 143 autres personnes (notamment des loyalistes, des Noirs, des soldats démobilisés et des Allemands) une « plantation » de 32 000 acres dans le nouveau canton de Preston, ainsi baptisé par Chamberlain. Il reçut personnellement l’une des deux concessions de 1 000 acres. En avril de l’année suivante, 194 réfugiés arrivèrent de St Augustine (Floride) ; en 1785 et 1786, de nouvelles concessions leur furent attribuées, ainsi qu’à d’autres arrivants : Trente-cinq autres colons reçurent 4 700 acres en décembre 1787.

À mesure que le canton de Preston se peuplait, les fonctions de Chamberlain s’élargissaient. Lorsque certains Noirs se plaignirent de la qualité de leur lot ou du fait qu’ils n’avaient pas reçu de titre, il leur répondit qu’ils ne lui avaient pas payé ses honoraires ou qu’ils avaient été « trop négligents pour veiller à leurs propres intérêts ». Chamberlain répartissait les terres de façon assez juste, si l’on considère les lignes directrices officielles qu’il recevait concernant la dimension des lots ainsi que sa croyance sandemanienne selon laquelle la responsabilité dépendait directement de la bonne volonté et de la capacité que l’individu manifestait. Certains habitants de Halifax n’occupèrent jamais leurs lots et, en janvier 1792, la plupart des Noirs partirent pour la Sierra Leone [V. David George* ; Thomas Peters*]. Bon nombre de soldats vendirent ou abandonnèrent leur concession, et Preston fut ainsi laissé principalement aux sandemaniens dont Chamberlain était le chef reconnu. À mesure que ses nombreux enfants grandissaient et s’alliaient par le mariage à d’éminentes familles sandemaniennes de Halifax, il subdivisait sa terre ou acquérait, dans le canton de Preston, de nouvelles concessions pour certains d’entre eux.

En juillet 1796, quelque 550 descendants d’esclaves marrons jamaïquains arrivèrent à Halifax. Cette lignée d’esclaves fugitifs avaient lutté contre les autorités de la Jamaïque pendant plus d’un an ; à la fin de leur lutte en mars 1796, ils avaient été envoyés en Nouvelle-Écosse. Là, ils reçurent une aide financière du gouvernement jamaïquain et on leur assigna des surintendants. Bien qu’ils n’aient pas d’abord été sous la responsabilité de Chamberlain, celui-ci surveilla l’arpentage et l’attribution des terres achetées pour eux dans le canton de Preston. Il fut aussi leur instituteur pendant quelque temps et, en juillet 1797, on lui demanda de partager certaines fonctions relatives à leur surveillance. Après qu’il les eut menacé de retenir les rations, les Noirs, d’abord réticents, se mirent finalement à exploiter leurs terres. Le 9 juillet 1798, Chamberlain fut nommé surintendant des Noirs marrons, remplaçant ainsi Alexander Howe*. En ayant recours aux mêmes tactiques, il réussit à les mettre au travail, mais il les trouva aussi exaspérants qu’eux trouvaient la vie dans le canton de Preston. Jusqu’à leur départ en août 1800, Chamberlain habita Maroon Hall, résidence construite par Francis Green* et acquise par le gouvernement jamaïquain pour loger le surintendant.

Hormis les prisonniers français et américains qui demeurèrent temporairement dans le canton, peu de gens vinrent s’y installer au cours des années qui suivirent. L’inoccupation des terres entravait le développement, surtout l’entretien des chemins, et Chamberlain exigea en vain la confiscation de ces terres. Après la guerre de 1812, il accueillit favorablement une proposition gouvernementale qui visait à établir un groupe d’esclaves affranchis, car il y voyait une occasion d’occuper les terres inhabitées, une source d’aide pour réparer les chemins et un apport de main-d’œuvre nécessaire aux premiers colons. Les terres inoccupées furent dûment confisquées et, afin de laisser place à un regroupement suffisamment compact, Chamberlain et quelques autres propriétaires se dessaisirent d’une partie de leur terre en échange d’autres terrains. Durant l’été de 1815, Chamberlain fit le levé des lots proposés et, au cours de l’automne, il surveilla la distribution des provisions et les mesures prises pour entreposer les réserves destinées aux réfugiés. Il continua à fournir des rapports sur les progrès effectués par les nouveaux colons jusqu’à la fin de 1816, et c’est alors que prit fin la dernière de ses responsabilités publiques d’importance.

La longue carrière de Chamberlain présente des facettes multiples. C’était un pragmatiste doté de principes : selon ce que les circonstances ou sa conscience lui dictaient, il passait presque sans hésiter d’une tâche à une autre et ne s’appesantissait pas sur des regrets ; il récupérait ce qu’il pouvait, cherchait de nouvelles solutions à de vieux problèmes ou se lançait de nouveaux défis. La tension interne qui le propulsait avait pour pôle sa nature pratique que tempéraient sa foi religieuse et sa conscience morale. Pour Chamberlain, l’action suivait toujours la décision : quand il découvrit les failles de la doctrine congrégationaliste, il devint sandemanien ; quand l’esprit révolutionnaire fut banni de ses convictions politiques, il prit un nouveau départ à l’abri des frontières britanniques. Il était typiquement loyaliste dans le sens où ses principes reposaient sur le besoin politique et social d’une figure d’autorité dûment établie mais ne tenaient pas compte du personnage lui-même. Pourtant, en tant que sandemanien, il insistait sur l’indépendance individuelle, il ne tolérait aucun régime d’exception à la norme et il percevait le temps, l’instruction et le christianisme comme les grands facteurs de nivellement. L’honnêteté, le sens de l’économie et du travail bien fait, ainsi que l’acceptation des responsabilités portaient en eux-mêmes leur récompense. Ce sont des hommes comme Chamberlain qui mirent la Nouvelle-Écosse sur la bonne voie ; la légèreté qui régnait dans les milieux gouvernementaux et l’ombre dans laquelle évoluait le demi-monde du front de mer de Halifax restaient tous deux en marge d’un véritable développement, ce qui rendait certes Chamberlain impatient.

Theophilus Chamberlain entretint néanmoins des rapports amicaux avec plusieurs lieutenants-gouverneurs. De fait, sir John Wentworth* plaça son fils naturel Edward Lowe dans la maison et sous la garde légale du vieil homme. Sa vie de famille fut irréprochable, et il eut des amis qui lui furent toujours fidèles. Le portrait de Chamberlain reflète le mélange de vanité humaine et d’humilité spirituelle qui le caractérisaient ; le testament qu’il rédigea à l’âge de 87 ans permet de mieux comprendre son caractère. Il aimait beaucoup la campagne qui entourait sa maison ; il la baptisa de son nom et y laissa son empreinte d’arpenteur. Avant sa mort le 20 juillet 1824, il demanda qu’on l’enterre dans le petit cimetière situé près de l’église construite pour les Noirs marrons, au sommet d’une haute colline de Preston.

Gertrude E. N. Tratt

Halifax County Court of Probate (Halifax), Estate papers, C51 (Theophilus Chamberlain) (mfm aux PANS).— PANS, Biog., Theophilus Chamberlain, diary (mfm) ; MG 1, 164C (copie dactylographiée) ; 1184B (photocopies) ; 1619A (photocopies) ; RG 1, 419, no 41.— Nova-Scotia Royal Gazette, 21 juill. 1824.— Loyalists in N.S. (Gilroy).— Richard Hildreth, History of the United States of America (6 vol., New York, 1848–1871), 3.— Historical essays on the Atlantic provinces, G. A. Rawlyk, édit. (Toronto, 1967 ; réimpr., 1971).— Murdoch, Hist. of N.S., 3.— Francis Parkman, A half-century of conflict (2 vol., Boston, 1892).— [A. G.] Archibald, « Story of deportation of Negroes from Nova Scotia to Sierra Leone », N.S. Hist. Soc., Coll., 7 (1891) : 129–154.— F. E. Crowell, « New Englanders in Nova Scotia [...] », Yarmouth Herald (Yarmouth, N.-É.), 11 oct. 1932.— J. N. Grant, « The 1821 emigration of black Nova Scotians to Trinidad », N.SHist. Quarterly, 2 (1972) : 285–292.— E. B. Harvey, « The Negro loyaliste », N.SHist. Quarterly, 1 (1971) : 181–202.— « House linked with historic name », Mail-Star (Halifax), 8 janv. 1954.— « Living links with the past », Halifax Herald, 24 juin 1897.— « Portraits », N.-E., Provincial Museum and Science Library, Report (Halifax), 1934–1935 : 30.— C. St C. Stayner, « The Sandemanian loyaliste », N.S. Hist. Soc., Coll., 29 (1951) : 62–123.

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Gertrude E. N. Tratt, « CHAMBERLAIN, THEOPHILUS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 2 oct. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/chamberlain_theophilus_6F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1987
Année de la révision:    1987
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