DU PONT DUCHAMBON DE VERGOR, LOUIS, officier dans les troupes de la Marine, né le 20 septembre 1713 à Sérignac (dép. de la Charente, France), deuxième fils de Louis Du Pont Duchambon et de Jeanne Mius d’Entremont de Pobomcoup ; il épousa le 8 juillet 1752, à Québec, Marie-Joseph, fille de Joseph Riverin* ; décédé en France après 1775.
Louis Du Pont Duchambon de Vergor entra dans l’armée en 1730, à titre de cadet à l’aiguillette ; il fit du service de routine à l’île Royale (île du Cap-Breton) avant d’être affecté, en 1737, au poste de commandement de son père, dans l’île Saint-Jean (Île-du-Prince-Édouard). Au début des années 1740, il commandait à Port-Dauphin (Englishtown, Nouvelle-Écosse) et, en 1744, il participa aux raids menés par son cousin, François Du Pont Duvivier, contre Canseau (Canso, Nouvelle-Écosse) et Annapolis Royal. En 1745, au cours du bombardement de Louisbourg, île Royale, par les Anglo-Américains, des éclats de la maçonnerie le blessèrent. Après la capitulation de la forteresse, il retourna en France. Grâce à ses relations familiales, Vergor avait été initié au commerce, à l’île Royale : en 1744, il avait reçu une part de la morue que le raid sur Canseau avait rapportée comme butin ; en plus, il avait investi dans la guerre de course et avait gagné 1 550# en louant à la couronne des édifices à Port-Dauphin et à Port-La-Joie (Fort Amherst, Île-du-Prince-Édouard) et en transportant sur ses navires des troupes et du matériel.
En 1747, Vergor fut affecté au Canada ; il fut promu au grade de lieutenant en 1749 et il devint capitaine en 1750. À la mi-septembre de cette année, on le dépêcha à bord du brigantin Saint-François pour escorter la goélette Aimable Jeanne, qui transportait des munitions et du ravitaillement de Québec au petit poste français de la rivière Saint-Jean (Nouveau-Brunswick). Tôt, le matin du 16 octobre, à dix lieues environ à l’ouest du cap de Sable (Nouvelle-Écosse), les navires français furent gagnés de vitesse par un sloop britannique commandé par le capitaine John Rous*. Malgré l’infériorité de son armement, Vergor engagea le combat, permettant ainsi à l’Aimable Jeanne d’atteindre la rivière Saint-Jean. L’action se poursuivit pendant la plus grande partie de la journée, après quoi, avec seulement 7 hommes valides sur 50 et le Saint-François démâté et faisant eau, Vergor fut contraint de céder. L’incident prit bientôt des proportions diplomatiques de haute volée, les Français protestant contre cette attaque, en temps de paix, et contre le traitement réservé à Vergor par le gouverneur Edward Cornwallis, à Halifax. Selon le témoignage de Vergor, Cornwallis « s’est emporté au point de lui dire que le Capitaine Roux auroit dû le couler à fond, et que s’il eut été à la place de ce Capitaine, il l’auroit fait ». Malgré sa rage, Cornwallis jugea prudent de relâcher Vergor, qui, bientôt de retour en France, eut le grand honneur, pour quelqu’un de son rang, de faire personnellement rapport de l’incident au ministre de la Marine, Rouillé.
Bien qu’en garnison à Louisbourg en 1750, Vergor, appuyé à fond par l’intendant Bigot, sollicita le commandement d’une compagnie à Québec, qu’il obtint en 1751. L’année suivante, il était créé chevalier de Saint-Louis. En août 1754, on le nomma commandant au fort Beauséjour (près de Sackville, Nouveau-Brunswick), lequel avait été construit, avec le fort Gaspereau (près de Port Elgin, Nouveau-Brunswick), sur l’isthme de Chignectou, au début des années 1750, pour établir une « Nouvelle Acadie », face à la présence britannique en Nouvelle-Écosse. Selon le traître Thomas Pichon, Vergor dut à Bigot sa nomination à Beauséjour.
C’est son intimité avec Bigot, semble-t-il, qui explique toute la carrière de Vergor ; fondées sur une affinité de caractère, leurs étroites relations datent des années 1740, à l’époque où tous deux étaient en poste à Louisbourg. Le très partial et cancanier Louis-Léonard Aumasson de Courville, qui devint le secrétaire de Vergor à Beauséjour, écrit que le fondement de cette intimité « ne faisait honneur ni à l’un ni à l’autre [...] l’Intendant étant galant, il devoit de la reconnoissance à cet Officier ». Pichon est plus précis ; Vergor, prétend-il, « a servi plus d’une fois de macreault » à Bigot. Si l’on ne peut mettre en doute son courage, les événements de Beauséjour, en 1755, et de Québec, en 1759, montrent que Vergor n’était pas fait pour commander dans l’armée. Bien plus, selon les témoignages de Courville et de Pichon, les caractéristiques physiques et mentales de Vergor n’étaient pas plus louables que sa moralité. « Cet officier, observe Courville, étoit sans esprit et sans éducation ; sa figure même étoit déplaisante ; [... il était] a tous égards incapable. » Pichon affirme que « l’imbécile commandant » bégayait, ne savait pas lire et pouvait difficilement signer son nom. Nous ne possédons qu’une lettre de la main de Vergor, écrite « a bocegour » en mai 1755. Elle révèle qu’il n’écrivait qu’au son : « je neux vous sanpeche pas [...] da gette [d’acheter] toute la cargeson au si bien que le vingt [vin] et audevis [eau-de-vie] ». Madame Bégon [Rocbert*de La Morandière], qui n’avait aucune raison d’avoir des préjugés à son endroit, avait écrit, à la suite d’une brève rencontre avec lui à Montréal, en 1749 : « cest bien le plus épais gas quejay demavie veu mais il entant la menicle [manicle] ». Une note de 1761, en marge d’un document officiel, résume la plupart de ces réactions : « Médiocre à tous égards. »
L’ensemble des témoignages signale l’avidité comme le vice dominant de Vergor ; alliée à un relâchement général des mœurs, cette avidité constituait probablement son principal attrait pour la clique de Bigot. Courville affirme que Vergor était « avare a l’exces » et, dans les mémoires de ce même Courville, on trouve la fameuse citation attribuée à Bigot : « Profitez, mon cher Vergor, de votre place [à Beauséjour] ; taillez, – rognez – vous avez tout pouvoir, – afin que vous puissiez bientôt venir me joindre en France, et acheter un bien à portée de moi. » Pichon affirme que le seul intérêt de Vergor à Beauséjour consistait « à tirer la crème de cette colonie » en exerçant le monopole des approvisionnements en bois de chauffage et en boissons, qui, selon son évaluation, rapportaient à Vergor 60 000# par année.
Les forts Beauséjour et Gaspereau, qui s’avéraient une menace pour les autorités du Massachusetts et de la Nouvelle-Écosse, devinrent les objectifs d’une expédition, au printemps de 1755. Les Britanniques, sous les ordres du lieutenant-colonel Robert Monckton, débarquèrent sans opposition, en juin, sous la protection du fort Lawrence (près d’Amherst, Nouvelle-Écosse), situé de l’autre côté de la rivière Missaguash, en face de Beauséjour. La situation de Vergor, quoique aucunement désespérée, n’était guère favorable. Il disposait de fortifications régulières, d’une artillerie suffisante et de 160 soldats des troupes de la Marine, mais à son arrivée il affirma que Beauséjour était « dans un bien triste état et capable par son peu de deffense de deshonnorer le plus brave officier ». Louis-Thomas Jacau de Fiedmont, commandant de l’artillerie, partageait cet avis. En ce qui concerne les 1200 à 1500 Acadiens récalcitrants de la région, de dures privations les mettaient hors d’état de servir utilement en tant que miliciens. Plusieurs invoquèrent le serment de neutralité, qui leur vaudrait des représailles s’ils étaient surpris en armes par les Britanniques ; des centaines désertèrent, et Vergor, afin d’apaiser les craintes de ceux qui restaient, accepta d’affirmer par écrit qu’il les avait forcés, sous peine de mort, à porter les armes. Ceci marqua le début malencontreux d’un incident de frontière qui, en quelques jours, allait précipiter la solution définitive du pénible problème de la neutralité de la population française de la Nouvelle-Écosse.
Le 13 juin, après s’être emparé d’une crête qui mettait le fort à sa portée, Monckton commença de bombarder au mortier, avec un notable résultat, les positions françaises. Bien que l’artillerie française ait rendu aux Britanniques la monnaie de leur pièce, à l’intérieur du fort surpeuplé, les frissons de terreur s’emparèrent bientôt des troupes démoralisées, et, le 16 juin, les Acadiens sous ses ordres s’étant rebellés, Vergor, impuissant, capitula. Le lendemain, Benjamin Rouer* de Villeray livra le fort Gaspereau avant même d’être attaqué. La chute de ces deux postes sonna le glas du projet de la « Nouvelle Acadie » et régla finalement la querelle des frontières au profit des Britanniques. Au cours des semaines suivantes, on rassembla et déporta dans les colonies américaines de l’Atlantique les Acadiens de cette région qui n’étaient pas parvenus à fuir dans les bois au nord de Chignectou.
Le ministre de la Marine, Machault, avait de bonnes raisons de croire, sur les avis qui lui en avaient été donnés privément et d’après les récits publiés par les Britanniques, que les forts de la région de Chignectou avaient été « fort mal defendus », malgré les versions contraires de Vaudreuil [Rigaud] et d’Augustin de Boschenry* de Drucour dans leurs rapports officiels. Machault ordonna qu’une enquête fût instituée « sans égard pour quiconque ». On somma Vergor et Villeray de comparaître devant un conseil de guerre, à Québec, en septembre 1757. Protégés par Bigot et les militaires, tous deux furent acquittés, en dépit de Vergor qui, selon Courville, « n’ayant pas l’ombre de bon sens, disoit souvent ce qui pouvoit lui être contraire ». Certains récits de seconde main de la reddition de Beauséjour et la tradition populaire ont fait état, en termes sévères, du « banquet » offert par Vergor aux officiers de Monckton, mais on n’invoqua pas ce geste, conforme aux usages courtois des armées de l’époque, au cours du procès de Vergor, comme étant contraire aux bons usages militaires.
Vergor continua de servir, au lac Champlain, en 1757 et 1758. En 1759, il était de retour à Québec, assiégée à partir du mois de juin par Wolfe* et Charles Saunders. Au début de septembre, il fut choisi pour commander un poste de garde sur l’escarpement élevé qui domine l’anse au Foulon, au sommet d’un étroit sentier reliant le bord du fleuve aux plaines d’Abraham. Or, c’est exactement ce point, ainsi que le voulait la mauvaise étoile de Vergor, que Wolfe, indécis, avait finalement choisi pour tenter un débarquement dans la nuit du 12 au 13 septembre. Un premier parti d’« Habits-Rouges » débarqua sans attirer l’attention, après avoir répondu, dans un français passable, au qui-vive des sentinelles, suivi en moins de quelques minutes de plusieurs compagnies d’infanterie légère qui escaladèrent rapidement l’escarpement pour tomber, avec un effet de surprise totale, sur le détachement de Vergor. Certainement pas aussi alertes que l’eussent exigé les circonstances, les Français ne résistèrent que faiblement avant de se disperser. Vergor fut atteint de coups de feu à la jambe droite et à une main et fait prisonnier avec plusieurs de ses hommes. Les autres coururent se mettre en sécurité à Québec et y donnèrent l’alerte. Dans l’intervalle le jour s’était levé, et les Britanniques, après des mois de siège, avaient dramatiquement réussi à établir une tête de pont d’où, en quelques heures, le sort de la Nouvelle-France serait scellé.
Il est significatif que, une fois rapatrié en France, Vergor n’ait officiellement encouru aucun blâme pour son rôle lors du débarquement britannique. Une autre des allégations peu flatteuses de Courville a agrémenté la plupart des récits postérieurs des historiens de langue française : « ce capitaine avoit avec lui beaucoup d’habitants de Lorette [...] ; ils lui demandèrent permission d’aller travailler la nuit chez eux ; il la leur accorda ; (on prétend que ce fut à condition d’aller aussi travailler pour lui sur une terre qu’il avoit dans cette paroisse) ». Rien ne vient cependant corroborer cette affirmation.
De retour en France en 1760, Vergor tenta de continuer son service dans l’armée, mais il semble que ses blessures l’en empêchèrent. En avril de cette même année, il reçut la pension des invalides et à partir de ce moment il alla régulièrement prendre les eaux. Sa jambe, brisée à l’anse au Foulon, le laissa estropié et constamment souffrant ; la fin de l’une de ses nombreuses requêtes est ainsi dictée : « de mon lit, souffrant ».
En 1762, Vergor vivait à Paris. Il se retira plus tard à La Flèche d’abord, où sa femme mourut en avril 1770, puis dans la paroisse Saint-Clerc-de-Cosnac (dép. de la Charente), en Saintonge, province d’origine de sa famille. On ne connaît pas avec précision l’état de sa fortune : une note, dans une liste officielle de 1761, le dit « riche » ; mais ses voyages annuels aux villes d’eaux étaient subventionnés, et il sollicita la protection de l’évêque d’Orléans. En 1763, le ministre de la Marine donnait à ce prélat l’assurance suivante : « Je me souviendray avec plaisir de Linteret que Vous prenez a cet officier Lorsqu’il sera question de L’arrangemt [...] que lon prendra pour tous les officiers du Canada. » En 1768, il reçut une indemnité de 2 510# en compensation pour ses pertes au Canada. Il mourut dans la pauvreté, après 1775, sans « terre n’y rente ». Un de ses huit enfants, Joseph Du Pont Duchambon de Vergor, revint dans le Bas-Canada en 1794, pendant la Terreur.
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Bernard Pothier, « DU PONT DUCHAMBON DE VERGOR, LOUIS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 10 oct. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/du_pont_duchambon_de_vergor_louis_4F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/du_pont_duchambon_de_vergor_louis_4F.html |
Auteur de l'article: | Bernard Pothier |
Titre de l'article: | DU PONT DUCHAMBON DE VERGOR, LOUIS |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1980 |
Année de la révision: | 1980 |
Date de consultation: | 10 oct. 2024 |