FRANKS, JACOB (John), trafiquant de fourrures et homme d’affaires, né vers 1768, probablement à Québec, fils de John Franks et d’une prénommée Appollonia ; décédé le 14 novembre 1840 à Montréal.

Les ancêtres de Jacob Franks, grands marchands juifs de Bavière, arrivèrent en Angleterre dans la seconde moitié du xviie siècle, puis certaines branches de la famille s’établirent en Orient, aux Antilles et dans les colonies américaines. Marchand à Halifax dès 1749, John Franks partit pour Philadelphie autour de 1760 puis s’installa à Québec en 1761. En 1768 – premier cas connu où un Juif fut mandaté par les autorités coloniales comme fonctionnaire au Canada – on l’affecta, à titre d’inspecteur, à la prévention des incendies. Il appartenait à la congrégation Shearith Israel de Montréal [V. Jacob Raphael Cohen*] et, dans ses dernières années, fut propriétaire d’une taverne à Québec. Il mourut en 1794.

Dès 1788, Jacob Franks, alors domicilié à Montréal, faisait la traite des fourrures dans le haut Mississippi et à Michillimakinac (Mackinac Island, Michigan). En 1794, il était commis pour la Ogilvy, Gillespie and Company sur le territoire actuel du Wisconsin et s’établissait à la baie des Puants (baie Green), au lac Michigan. Le 8 août, il obtint des Folles-Avoines un bail de 999 ans sur 1 200 acres réparties des deux côtés de la rivière Renard (rivière Fox), dans la même baie. En 1797, au retour d’un voyage à Montréal en compagnie de son neveu John Lawe (fils de sa sœur Rachel), qui lui servait de commis, il acheta le magasin de la Ogilvy, Gillespie and Company à la baie des Puants. En quelques années, parce qu’il réussit à faire de son magasin un foyer de traite avec les Indiens, il devint un marchand et un trafiquant de fourrures extrêmement prospère. En 1805, il construisit un moulin à farine qui servait aussi de scierie ; c’était le premier de la région du Wisconsin. Il y a lieu de croire qu’il établit aussi une distillerie.

Cette année-là, Franks atteignit le sommet de son succès commercial. En 1796, les Britanniques avaient cédé les postes de traite du Sud-Ouest aux États-Unis, de sorte que finalement, en 1804, ceux-ci avaient nommé dans l’île Mackinac un officier des douanes qui régissait la traite, percevait les droits et délivrait les permis. L’année suivante, on constitua le territoire du Michigan (Michigan et Wisconsin), ce qui remit en question les titres fonciers précédemment acquis. Dans ce contexte mouvant, quatre trafiquants britanniques de Prairie du Chien, sur le Mississippi, s’associèrent en août 1804 à Franks, à la baie des Puants, pour préserver leur part du marché du Sud-Ouest. Robert Dickson* reçut deux des sept parts de la société ; James* et George Aird, ainsi qu’Allen C. Wilmot, les autres trafiquants de Prairie du Chien, en eurent une chacun. Franks eut les deux autres parts – soit autant que Dickson – ce qui témoigne de son importance. Dès 1805, on connaissait la société sous le nom de Robert Dickson and Company.

La concurrence de plus en plus vive des trafiquants américains et la médiocrité de la saison de traite de 1805–1806 causèrent cependant l’échec de la compagnie. Dès juin 1806, elle devait £27 000 à son fournisseur, la James and Andrew McGill and Company de Montréal, qui n’était que l’un de ses nombreux créanciers. La société cessa officiellement d’exister après 1807, mais les associés ne mirent pas fin à leurs relations d’affaires pour autant et, entre autres, ils vendirent ensemble leurs fourrures à la Michilimackinac Company [V. John Ogilvy*]. Dickson reconstitua sa compagnie en 1810 avec des associés supplémentaires : John Lawe et Thomas Gummersall Anderson*, qui avaient tous deux été ses commis, et Jean-Joseph Rolette, trafiquant à la baie des Puants.

Cette année-là, pour la première fois, les États-Unis interdirent l’accès de leur territoire indien aux trafiquants qui étaient sujets britanniques. À l’automne de 1810, pour contrer le blocus, les huit associés formèrent un convoi de sept embarcations armées et chargées de marchandises qui partit de nuit du poste britannique de l’île St Joseph (Ontario), passa en douce devant la garnison américaine de l’île Mackinac et se rendit à la baie des Puants, où il n’y avait encore aucun représentant américain.

En arrachant l’île Mackinac aux Américains, le 16 juillet 1812, les Britanniques redevinrent maîtres des lacs Supérieur, Michigan et Huron de même que de la traite dans le Sud-Ouest. Franks participa activement à l’effort de guerre. Il fut, en termes de quantité, le deuxième fournisseur d’équipement destiné aux forces indiennes qui avaient attaqué l’île Mackinac sous les ordres de Dickson. Lui-même avait commandé un détachement de « Canadiens ou voyageurs » à cette occasion et, une semaine plus tard, c’est l’un de ses bateaux à fond plat qui rapporta le matériel du quartier général britannique de l’île St Joseph à l’île Mackinac. L’hiver suivant, il autorisa John Askin fils à tenir un bureau et un commissariat dans sa maison et son magasin de l’île Mackinac. Durant l’occupation de l’île par les Britanniques, qui dura jusqu’à l’été de 1815, il approvisionna la garnison. C’est à lui qu’on demanda d’évaluer les biens trouvés à bord du Scorpion et du Tigress, pris aux Américains sur le lac Huron en septembre 1814 [V. Miller Worsley*]. Après que les Britanniques eurent abandonné l’île Mackinac, deux maisons dont la sienne furent « pillées sans motif » par les habitants. En guise de compensation, il reçut en 1816 un lot de construction au nouveau poste de l’armée britannique, dans l’île Drummond (Michigan).

À compter de 1813, Franks avait repris la traite avec les Indiens, de concert avec Lawe et James Aird. En 1816, cependant, le Congrès déclara que seuls les Américains pourraient traiter au sud-ouest des lacs Supérieur, Michigan et Huron. À la fin de juin, lorsque Franks arriva à l’île Drummond après un hiver à Montréal, la traite au sud du lac Supérieur était de toute évidence terminée pour les Britanniques. Dans ce climat de restrictions, il découvrit qu’il ne pouvait plus compter sur la North West Company (avec laquelle la Michilimackinac Company avait fusionné) ni pour l’approvisionner ni pour acheter les quelques fourrures que lui-même et ses associés parvenaient à amasser. Il prit donc pour fournisseur la David Stone and Company du New Hampshire et résolut d’écouler les fourrures à Montréal parce qu’il n’avait « nullement l’intention de les sacrifier en les vendant à Mackinac, comme [lui et ses associés l’avaient] fait pendant tant d’années ».

Au même moment, Franks décida de se marier et de s’installer à Montréal en permanence. À la baie des Puants, il avait épousé à la façon du pays Thérèse de Gère, dit Larose, et ils avaient eu trois fils et deux filles. Le 13 novembre 1816, il épousa à Montréal Mary Solomons, fille de Levy Solomons*, avec laquelle il était « lié par le sang » ; aucun enfant n’allait naître de ce mariage, et Mary Franks allait mourir en 1826. Franks continua de faire de la traite avec Lawe à la baie des Puants pendant trois ans, mais chaque saison se révéla pire que la précédente. En 1818, Aird n’appartenait plus à l’association, et Franks était parvenu à la conclusion que, étant donné « toutes les mesures restrictives du gouvernement américain », il n’était possible de faire la traite qu’« en employant de jeunes Américains pour faire sortir les marchandises ». Pour son voyage dans l’Ouest à l’été de 1819, il n’emporta que « très peu de marchandises », fournies par son beau-frère Henry Joseph* et par David David*, de Montréal. Il n’en récupéra jamais le coût et ne retourna jamais dans l’Ouest. Il fit toutefois une autre expédition de traite, en 1819, à Lac-des-Deux-Montagnes (Oka), non loin de Montréal. Moins d’un an plus tard, il vendit tout, légèrement à perte, à la North West Company.

Franks se retira dans une ferme aux Cèdres en 1820. « J’étais certaine, disait sa femme Mary, qu’après s’être esquinté pendant tant d’années, il aurait amassé assez d’économies pour se permettre un minimum d’aisance pendant les quelques années qu’il pourrait lui rester à vivre, mais malheureusement ce n’est pas le cas, et nous devons nous débrouiller tant bien que mal. » Franks se réinstalla à Montréal en 1839, un an avant sa mort. Il avait toujours conservé des liens avec la communauté juive de la ville et laissa un legs à la synagogue.

Tout au long de sa carrière dans les régions de traite, Jacob Franks fut reconnu comme Juif et traité comme un égal. Après l’avoir rencontré pour la première fois avec son neveu en 1800, à la baie des Puants, Thomas Gummersall Anderson nota : « un gentleman anglais du nom de Jacob Franks et son neveu John Lawe, juifs, faisaient de vastes opérations de traite ici ». Il reconnaissait que Franks lui avait donné « les premiers bons conseils » qu’il avait reçus dans l’Ouest et que lui et son neveu avaient « eu l’amitié de [lui] fournir beaucoup d’indications sur la manière de [se] conduire avec les Indiens, tout en [lui] disant de [se] méfier, entre autres, des ruses, tromperies et trahisons des trafiquants auxquels [il] étai[t] sur le point de [se] mêler ».

Sheldon J. Godfrey

ANQ-M, CM1, Jacob Franks, 22 nov. 1839.— APC, MG 8, G67 (mfm) ; RG 8, I (C sér.), 256 : 219–223 ; 257 : 200–201 ; 515 : 108 ; 673 : 230 ; 678 : 158–159 ; 1219 : 336–338.— Bayliss Public Library (Sault Ste Marie, Mich.), Samuel Abbot, notary-book, Mackinac, 1806–1818 : 33–39 ; Misc. coll., partnership agreement, Robert Dickson et al., 16 août 1804 ; Port Mackinac, records, 1808–1809.— Halifax County Registry of Deeds (Halifax), Deeds, 2 : fos 41, 75, 79, 154, 202 (mfm aux PANS).— PANS, RG 1, 410 : 1 (mfm).— Wis., State Hist. Soc., Grignon, Lawe, and Porlier papers ; John Lawe papers, box 1 ; M. L. Martin papers, box 1.— « Jacob Franks », American Jewish Hist. Soc., Pub. (Philadelphie), 9 (1901) : 151–152.— Mich. Pioneer Coll., 10 (1886) : 607 ; 15 (1889) : 193–195, 246–247, 664–674 ; 16 (1890) : 172, 307–308, 478–479 ; 25 (1894) : 608–610.— Wis., State Hist. Soc., Coll., 9 (1882) : 145–146, 178–179 ; 10 (1888): 90–91, 94–96 ; 15 (1900) : 3–4 ; 18 (1908) : 463 ; 19 (1910): 316–317, 357–360, 365–369, 461–463 ; 20 (1911) : 34–36, 52–53.— Montreal Gazette, 19 nov. 1840.— Montreal Herald, 16 nov. 1816.— First American Jewish families : 600 genealogies, 1654–1977, M. H. Stem, compil. (Cincinnati, Ohio, 1978), 83.— Jeanne Kay, « John Lawe, Green Bay trader », Wis. Magazine of Hist. (Madison), 64 (1980–1981) : 3–27.

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Sheldon J. Godfrey, « FRANKS, JACOB (John) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 15 oct. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/franks_jacob_7F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1988
Année de la révision:    1988
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