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HINCKS, sir FRANCIS, banquier, journaliste, homme politique et administrateur colonial, né le 14 décembre 1807 à Cork (République d’Irlande), dernier des neuf enfants du révérend Thomas Dix Hincks et d’Anne Boult ; le 29 juillet 1832, il épousa Martha Anne Stewart (morte en 1874), de Legoniel, près de Belfast, et ils eurent cinq enfants, puis, le 14 juillet 1875, Emily Louisa Delatre, veuve de Robert Baldwin Sullivan* ; décédé à Montréal le 18 août 1885.
Ministre presbytérien, le père de Francis Hincks avait un tel goût pour l’éducation et la réforme sociale qu’il résigna ses fonctions de pasteur afin de consacrer tout son temps à l’enseignement. Les plus âgés de ses fils, notamment William*, devinrent professeurs d’université ou ministres, et on supposait que Francis allait suivre leurs traces. Mais ce dernier, après avoir fréquenté quelque temps la Royal Belfast Academical Institution en 1823, se montra beaucoup plus intéressé à une carrière dans les affaires et, cette année-là, il fut mis en apprentissage chez John Martin and Company, société maritime de Belfast.
En août 1832, marié depuis deux semaines, Hincks partit avec son épouse pour York (Toronto). Il avait visité la colonie durant l’hiver de 1830–1831, au cours d’un voyage en vue d’étudier des occasions d’affaires qui l’avait conduit aux Antilles et dans les deux Canadas. Au début de décembre, il ouvrit un magasin de gros – « marchandises sèches », vins et alcools – dans des locaux que lui louaient William Warren Baldwin* et son fils Robert* ; une grande amitié lia bientôt les deux familles. La première annonce que Hincks fit paraître dans le Colonial Advocate offrait du sherry, du vin rouge espagnol, du gin hollandais, du whisky irlandais, des marchandises sèches, des bottes, des souliers et des articles de papeterie aux « marchands généraux » du Haut-Canada.
Comme son commerce de gros se trouvait fréquemment en difficultés financières, Hincks accepta volontiers l’invitation que lui firent en 1835 George Truscott* et John Cleveland Green de fonder avec eux une société par actions, la Farmers’ Bank, et d’en être le caissier (gérant). Lorsque les administrateurs de la banque élurent des tories aux postes de président (John Elmsley*) et de chef du contentieux, plusieurs réformistes éminents, dont James Lesslie, James Hervey Price et John Rolph*, se retirèrent et ; au cours de la même année, créèrent la Bank of the People. Hincks unit sa destinée à celle des réformistes et devint caissier de la nouvelle banque. Il participa de bon cœur également à de nouvelles entreprises, comme, en 1836, à la Home District Mutual Fire Insurance Company of Upper Canada, à titre de membre fondateur et de premier secrétaire.
Dès le début de sa carrière politique, Hincks se révéla, à l’exemple de Robert Baldwin, un réformiste modéré, se méfiant de l’aile radicale du mouvement que dirigeait William Lyon Mackenzie*. Après la victoire remportée par les réformistes aux élections provinciales de 1834, Hincks compta parmi les deux hommes choisis en qualité de vérificateurs des comptes par un comité spécial de l’Assemblée qui eut pour tâche d’enquêter sur la Welland Canal Company. Hincks et la plupart des réformistes accueillirent favorablement la nouvelle de la nomination, en décembre 1835, de sir Francis Bond Head* au poste de lieutenant-gouverneur du Haut-Canada. Mais ils perdirent vite leurs illusions, car le comportement de Head, surtout durant la campagne électorale de 1836, leur montra qu’ils n’avaient aucune chance d’obtenir la responsabilité ministérielle tant qu’il serait en poste. À l’automne de 1837, Hincks apprit avec inquiétude que certains réformistes, sous la direction de Mackenzie, tramaient une rébellion. Bien qu’il n’eût pas été mis dans le secret, il soupçonnait que des membres du conseil d’administration de sa banque étaient encore associés à Mackenzie et il savait que Rolph se trouvait sérieusement impliqué dans l’affaire. Amorcée en décembre, la rébellion fut écrasée facilement, mais il s’ensuivit une vive réaction contre le mouvement réformiste. On lança partout des accusations et des rumeurs, et Hincks se cacha durant une semaine en attendant la fin de cette période d’hystérie. Plusieurs réformistes, notamment Peter Perry*, Thomas Parke*, Price et Lesslie, perdirent l’espoir d’obtenir des réformes et songèrent à quitter l’Amérique du Nord britannique. Partageant ces sentiments pessimistes, Hincks se joignit à la Mississippi Emigration Society qui se proposait d’organiser une émigration en masse vers l’Iowa, et, pour le compte de cet organisme, il se rendit à Washington afin de voir s’il était possible d’acquérir une vaste étendue de terre. Lorsqu’il regagna le Haut-Canada au début de 1838, lord Durham [Lambton*] avait été chargé d’enquêter sur les causes des rébellions du Haut et du Bas-Canada. Cette nomination ayant ranimé l’espoir des réformistes, les membres de l’organisme décidèrent de reporter leurs projets au moment où Durham aurait présenté ses recommandations.
Désireux de promouvoir leur cause en attendant l’arrivée de Durham, certains réformistes, dont Hincks et Price, se rendirent dans des villages au nord de Toronto où le mouvement avait des assises solides. Ils n’ignoraient pas qu’il leur fallait un journal pour expliquer la signification du gouvernement responsable et pour souligner que les réformistes modérés rejetaient la rébellion et cherchaient à atteindre leurs fins en s’inspirant des moyens constitutionnels utilisés en Grande-Bretagne. En juin 1838, Hincks résigna ses fonctions à la Bank of the People afin de fonder à Toronto l’Examiner.
Le premier numéro du journal parut le 3 juillet ; il portait la devise « Responsible Government », à laquelle on ajouta bientôt les mots « and the Voluntary Principle » (principe de la séparation de l’Église et de l’État et du soutien de l’Église par contributions volontaires). Hincks resta propriétaire et rédacteur en chef du journal pendant les quatre années qui suivirent, et les thèmes qu’il aborda le plus souvent dans ses éditoriaux furent celui du gouvernement parlementaire sur le modèle britannique et celui des institutions religieuses soutenues uniquement par les contributions volontaires des adhérents. Ces articles contribuèrent peut-être à persuader Durham que le gouvernement responsable constituait la principale réforme requise afin d’établir des rapports harmonieux entre l’exécutif et l’Assemblée.
Hincks et ses contemporains n’avaient pas une conception uniforme et cohérente du gouvernement responsable qu’ils réclamaient, mais ils pensaient généralement au régime gouvernemental en train de prendre forme en Grande-Bretagne. S’inspirant de ce modèle, ils préconisaient que les conseillers du gouverneur fussent choisis au sein du groupe qui jouissait d’une majorité à l’Assemblée et que le gouverneur suivît leur avis ; l’Assemblée pouvait ainsi les tenir responsables des gestes du gouverneur. Ils estimaient que le gouvernement responsable allait leur permettre d’arracher aux tories la haute main sur les affaires du Haut-Canada et d’obtenir le pouvoir nécessaire à la mise en œuvre d’un programme réformiste. Toutefois, le contenu éventuel de ce programme ne faisait pas l’unanimité. Dans les années 1840, la plupart des réformistes du Haut-Canada s’entendaient sur la nécessité de séculariser les « réserves » du clergé, mais il y a lieu de douter qu’une majorité de réformistes canadiens-français partageaient cet avis. (Plus tard, dans les années 1850, Hincks allait se soucier en priorité d’utiliser le pouvoir politique en vue de promouvoir des projets de construction ferroviaire ainsi que d’autres projets de développement.)
Le rapport de Durham, où l’on recommandait que le Haut et le Bas-Canada deviennent une seule colonie, que les dépenses soient présentées à l’Assemblée par les membres de l’exécutif et, surtout, que le gouvernement responsable soit octroyé aux deux Canadas, suscita une vigueur nouvelle chez les réformistes du Haut-Canada lorsqu’il parvint dans la colonie au début d’avril 1839. Grâce à l’Examiner, Hincks en vint bientôt à être considéré comme le principal porte-parole et stratège des réformistes du Haut-Canada, bien que Baldwin fût le leader reconnu. Hincks comprit immédiatement que, si les réformistes du Haut-Canada formaient un front uni avec leurs collègues canadiens-français, le parti pourrait devenir presque invincible. Le 12 avril 1839, faisant les premiers pas, il fit parvenir à Louis-Hippolyte La Fontaine*, leader des réformistes du Bas-Canada, une lettre destinée à sonder ses intentions : « Lord Durham vous prête des visées nationales, écrivait-il. S’il a raison, l’union vous serait funeste ; s’il a tort et que vous souhaitez vraiment des institutions libérales et un gouvernement économe, à mon avis, l’union vous donnerait tout ce que vous désirez. » À cause de ses antécédents et de ses penchants, Hincks ne pensait qu’en fonction des libertés individuelles, politiques et sociales ; probablement estimait-il avec Durham que le Canada français ne pourrait éviter l’assimilation. Toutefois, à travers leur correspondance et leurs relations, Hincks et La Fontaine arrivèrent l’un et l’autre à comprendre les espoirs et les craintes des réformistes de la province d’en face. Pour sa part, Hincks ne cessa d’insister sur deux idées essentielles : le gouvernement responsable constituait l’instrument qui allait permettre la réalisation de toutes les réformes désirées ; et l’union des Canadas offrait les meilleures chances d’obtenir le gouvernement responsable, parce qu’elle permettrait aux réformistes des deux provinces de collaborer à la poursuite de leurs fins. On reconnaît bien Hincks dans le fait que ce fut lui, au lieu de Baldwin, qui avait pris contact avec La Fontaine. Malgré ses arguments très persuasifs, il ne réussit pas à amener les réformistes à unir leurs efforts ; les réformistes du Bas-Canada ne croyaient pas qu’ils pouvaient avoir confiance en l’appui de leurs collègues du Haut-Canada. Il restait à Baldwin et à La Fontaine la possibilité de conclure une alliance sur la foi de leur amitié personnelle, ce qu’ils firent au début des années 1840. Hincks avait largement contribué à établir les rapports harmonieux qui rendirent possible cette alliance.
L’union des Canadas ayant pris effet en février 1841, les premières élections se tinrent en mars, et Hincks put se réjouir des résultats. Il fut élu dans le comté d’Oxford et, dans le Haut-Canada, selon son analyse, les réformistes avaient remporté 19 sièges, les partisans du gouverneur Sydenham [Thomson*], 17, et les tories, 5. Au Bas-Canada, les résultats s’avéraient moins réjouissants. Les réformistes canadiens-français avaient fait élire une majorité de députés, mais le découpage arbitraire des circonscriptions, l’influence du gouverneur et la violence aux bureaux de scrutin leur avaient coûté des sièges qu’ils avaient été tout à fait sûrs de remporter. Hincks se mit à craindre que, par dépit, les Canadiens français décident de ne pas collaborer et de lutter contre l’Union. Afin de parer à cette menace, il écrivit au lieutenant de La Fontaine, Augustin-Norbert Morin*, et lui proposa d’adopter, à l’ouverture de la session, une stratégie visant à l’obtention du gouvernement responsable.
Lorsque l’Assemblée se réunit en juin, Hincks eut la surprise de constater que c’étaient les réformistes du Haut-Canada qui ne tenaient plus à la formation d’un front uni. Baldwin et Hincks savaient qu’il fallait donner des preuves de bonne foi à La Fontaine et à ses partisans. Mais la plupart des députés réformistes du Haut-Canada se rendaient compte que leurs électeurs souhaitaient obtenir les travaux publics que Sydenham avait promis et ils se refusaient à risquer de provoquer l’abandon de ces projets en soutenant les Canadiens français dans leur opposition au gouverneur. Lorsqu’il lui parut évident qu’une alliance ne pouvait être conclue durant la session, le pragmatique Hincks modifia son attitude. Plutôt que de s’opposer sans cesse au gouvernement, il décida d’appuyer les mesures qu’il jugeait bonnes. Il en arriva bientôt à penser que le gouvernement comptait des esprits libéraux, tels que Charles Dewey Day et Henry Black*, et qu’une « responsabilité de fait » avait été accordée, sinon un gouvernement responsable dans toute son acception théorique. Au cours de cette même session, il vota contre Baldwin et les Canadiens français sur plusieurs mesures, dont un projet de loi visant à établir des conseils municipaux dans le Haut-Canada, et il s’intéressa à la proposition faite par Sydenham de créer une banque d’émission gouvernementale. Entre Hincks et Baldwin, des propos acerbes furent échangés et un fossé se creusa. Ironiquement, les possibilités d’unir les groupes réformistes s’améliorèrent après la session. Grâce aux efforts de Baldwin, dans une large mesure, La Fontaine fut élu dans la quatrième circonscription d’York le 23 septembre 1841. Et, comme Baldwin voyait revenir sous sa direction les réformistes qui s’étaient écartés de lui, il apparut que le gouvernement ne serait pas assez fort, à la session suivante, pour faire adopter ses projets de loi.
Ayant reçu du ministère des Colonies la recommandation de renforcer son gouvernement, sir Charles Bagot*, successeur de Sydenham, offrit à Hincks, en juin 1842, le poste d’inspecteur général des comptes publics. Hincks accepta avec empressement et se fit ainsi la réputation d’être un opportuniste politique. Lorsqu’il entra en fonctions, il vendit l’Examiner à Lesslie. Bagot espérait que Hincks allait amener les réformistes modérés du Bas et du Haut-Canada à soutenir le gouvernement, mais il n’en fut rien. Se rendant vite compte qu’il devait obtenir l’appui du bloc des Canadiens français à l’Assemblée, le gouverneur entreprit des négociations qui, en septembre 1842, aboutirent à l’entrée de La Fontaine et de Baldwin dans le cabinet. Hincks retrouvait donc ses anciens collègues, mais il était toujours vu comme un traître par un grand nombre de réformistes du Haut Canada qui estimaient avec Price que sa présence « polluait » le gouvernement. Hincks n’avait jamais cessé de se considérer comme un réformiste ; il n’hésita donc pas à jouer de nouveau un rôle actif au sein du mouvement et, bientôt, il conseilla Baldwin en matière de stratégie politique. À titre d’inspecteur général des comptes publics, il prit des dispositions pour améliorer la perception des droits de douane et pour introduire des méthodes comptables plus efficaces au bureau du receveur général, John Henry Dunn*.
Bagot avait recherché l’appui de La Fontaine et de ses partisans afin de maintenir l’harmonie entre l’exécutif et l’Assemblée mais, avant qu’il ait pu juger du succès de son « grand projet », il tomba malade et demanda qu’on le remplaçât. Son successeur, sir Charles Theophilus Metcalfe*, arriva à la fin de mars 1843. Au début, Hincks se révéla favorablement impressionné par le nouveau gouverneur. Bagot avait reçu instructions du ministre des Colonies, lord Stanley, de résister à tout effort accompli par les réformistes dans le but de modifier la liste civile établie par le statut impérial de l’Acte d’Union. Lorsque son conseil s’opposa à ce que la liste fût dressée par le gouvernement britannique, Metcalfe pria Hincks de rédiger un mémoire et il utilisa ce document pour renouveler une demande que Bagot avait adressée au parlement britannique en vue d’obtenir que la législature canadienne pût adopter sa propre liste civile. Sur la question de l’exercice du « patronage », Metcalfe se montra ombrageux. Par tempérament et à cause des instructions de Stanley, il refusa d’accorder aux réformistes que le Conseil exécutif dût être consulté sur toutes les nominations. Même sur cette question, toutefois, Hincks faisait observer à Baldwin : « vraiment [le gouverneur] agit très bien et fait, je crois, des progrès ». Voulant composer avec Metcalfe, Hincks proposa à Baldwin que le Conseil exécutif désignât un nombre raisonnable de magistrats tories dans le district de Home afin de montrer au gouverneur que les réformistes se révélaient loyaux et appréciaient le fait qu’il ne s’était « opposé à aucun nom » parmi les fonctionnaires qu’ils avaient choisis pour les districts de Gore et de Simcoe.
L’entente ne dura pas. Peu de temps après son arrivée au Canada, Metcalfe se mit à croire que son Conseil exécutif avait probablement l’intention de faire l’essai de la responsabilité ministérielle en lui donnant des avis qu’il ne pourrait accepter et en démissionnant en bloc devant son refus. Il espérait que ce test allait porter sur l’exercice du patronage, qu’il croyait pouvoir justifier, plutôt que sur des questions litigieuses comme la liste civile, l’emplacement de la capitale ou l’amnistie des personnes exilées pour leur participation aux rébellions de 1837–1838. La crise survint le 26 novembre 1843. Tous les membres du conseil, à l’exception de Dominick Daly*, firent connaître leur intention de démissionner, parce que Metcalfe n’admettait pas que cet organisme se trouvait responsable devant l’Assemblée et devait, par conséquent, être consulté chaque fois qu’on voulait procéder à une nomination. Daly, William Henry Draper* et Denis-Benjamin Viger* prêtèrent serment comme membres du conseil le 12 décembre, mais le gouverneur se vit incapable de former un nouvel exécutif qui eût l’appui d’une majorité à l’Assemblée. Il décida finalement de s’en remettre à la population et déclencha des élections générales en septembre 1844. À la nouvelle législature, il y eut une faible majorité de partisans du gouverneur, mais la plupart de ceux-ci avaient été élus dans le Haut-Canada. Parmi les députés du Bas-Canada, ses partisans se trouvaient nettement en minorité et ne comptaient en fait aucun Canadien français. Ce déséquilibre persista jusqu’au moment où La Fontaine et Baldwin formèrent le gouvernement, à la suite des élections générales de 1848.
Tout au cours de la crise, Hincks n’avait jamais cessé d’adhérer à la cause réformiste. Au milieu de celle-ci, Baldwin perdit son père et, dans un moment de découragement, résolut de quitter la politique. L’amitié de Hincks et l’argument, utilisé par celui-ci, que cet abandon allait porter un dur coup au mouvement réformiste, contribuèrent à le persuader de rester à son poste.
En février 1844, Hincks eut une nouvelle fois l’occasion de conjuguer politique et journalisme. Malgré les craintes de Baldwin, il se vit offrir, par La Fontaine et un réformiste de Montréal, Theodore Hart, d’assumer les fonctions de rédacteur en chef du journal montréalais Times and Commercial Advertiser afin d’en faire un organe réformiste digne de confiance. Il accepta l’offre et alla s’installer à Montréal, où il devint un membre actif de la communauté unitarienne. Hincks ne tarda pas à comprendre que le propriétaire du Times, Hutton Perkins, n’entendait pas lui donner carte blanche pour la rédaction des éditoriaux ni lui vendre le journal. C’est pourquoi, soutenu financièrement par Hart, Baldwin et La Fontaine, il fonda un nouveau journal à Montréal, le Pilot, dont le premier numéro parut le 5 mars. Très à l’aise dans le journalisme acrimonieux que l’on pratiquait à cette époque, Hincks écrivit bientôt des éditoriaux qui provoquèrent de violentes réactions chez les rédacteurs tories. Comme il avait souvent vu les réformistes du Haut-Canada subir l’intimidation des bandes d’émeutiers du parti tory, il ne put s’empêcher d’encourager l’utilisation des Irlandais affectés au creusage des canaux pour interrompre les assemblées des tories. Prenant la parole à toutes les réunions électorales et fournissant parfois une fanfare, soulignant le fait que les tories étaient les ennemis traditionnels des Canadiens français et faisant appel aux préjugés des Irlandais, Hincks s’appliqua à cimenter l’alliance entre ces derniers et les Canadiens français. Il contribua par ses efforts à la victoire du candidat réformiste Lewis Thomas Drummond à l’élection partielle tenue à Montréal en avril 1844 ; un tel résultat constituait une sérieuse déconvenue pour Metcalfe et les tories, car la circonscription était vue comme une place forte de leur parti. Hincks avait la conviction que, même s’il n’était pas depuis longtemps à Montréal, il avait uni les Canadiens français et les Irlandais, et cela, disait-il à Baldwin, « nous évitera beaucoup d’ennuis dans l’avenir ».
Tout à fait absorbé par son journal, Hincks en vint à se demander s’il avait encore le goût d’exercer des fonctions politiques. « Mon Ambition est satisfaite, affirmait-il en mai à Baldwin, et je n’ai vraiment pas le désir, quant à moi, de revenir en arrière, et je pense que, pour être le plus utile au parti, il vaudrait mieux rester comme je suis. » Néanmoins, il se porta de nouveau candidat après la dissolution du parlement par Metcalfe en septembre 1844. Battu par Robert Riddell dans le comté d’Oxford, il attribua sa défaite inattendue aux Écossais du canton de Zorra dont il avait heurté la conscience presbytérienne en appuyant le projet de loi présenté par John Prince* en vue de permettre la chasse le dimanche. Le résultat s’expliquait peut-être également, d’après Baldwin, par les attaques de toutes sortes que le Pilot avait dirigées contre les marchands tories d’origine écossaise de Montréal.
Hincks ne tarda pas à comprendre que le Pilot, afin de survivre, devait attirer un grand nombre d’abonnés parmi les réformistes du Haut-Canada : ceux du Bas-Canada étaient, pour la plupart, des francophones, sur lesquels on ne pouvait guère compter pour s’abonner à un journal anglais, et la majorité des marchands de Montréal étaient des tories qui n’allaient vraisemblablement pas lui acheter des annonces. Mais les tentatives de recrutement qu’il fit dans le Haut-Canada suscitèrent bientôt un conflit entre lui et George Brown*, qui, naturellement, estimait que la campagne du Pilot ne devait pas être menée aux dépens du Globe. Entre les deux hommes, les journaux ne constituaient pas la seule cause de mésentente. Hincks soupçonnait Brown de vouloir prendre sa place en tant que candidat réformiste dans Oxford aux élections suivantes. Brown « y déploie son activité non seulement contre le Pilot, mais contre moi personnellement, déclara-t-il à Baldwin en septembre 1845. Son but est de me déloger de ce comté et, comme le pensent mes amis, de se mettre à ma place. Il veut également qu’[Edward Blake*] vous remplace comme leader. Mes renseignements sont dignes de foi. » Dans ses lettres à Baldwin, Brown nia avoir des ambitions politiques, et tout indique que les soupçons de Hincks n’étaient pas fondés. Comme il se tenait à l’écart de l’activité politique du Haut-Canada et qu’il avait perdu son siège à l’Assemblée, Hincks paraissait disposé à croire tous les bruits qui couraient. Il en venait à mettre en doute le leadership de Baldwin et de La Fontaine et à déplorer amèrement le fait que les chefs réformistes du Bas-Canada n’avaient pas fourni une aide suffisante au Pilot.
Hincks envisagea souvent de vendre le journal et il faillit prendre cette décision en 1847, après que des profits de $4 500 réalisés sur des placements dans l’Echo Lake Mining Company et la Lake Huron Silver and Copper Mining Company lui eurent donné les fonds suffisants pour désintéresser ses créanciers. Mais il décida finalement de conserver le journal ; il aimait le journalisme, et le Pilot lui permettait d’assurer la liaison entre les réformistes du Bas et du Haut-Canada. Il savait également qu’il exerçait une assez grande influence sur les leaders du Canada français. Entre 1845 et 1847, sous prétexte de reconnaître l’équité du principe de la double majorité, Draper tenta d’amener les députés canadiens-français à rejeter la direction de La Fontaine et à rompre leur alliance avec les réformistes du Haut-Canada. Hincks contribua largement, par son prestige et ses avis, à maintenir l’unité et la fidélité au sein des réformistes du Bas-Canada.
L’Assemblée fut dissoute et des élections furent déclenchées à la fin de 1847, au moment où Hincks se trouvait en Irlande pour la première fois depuis son immigration au Canada. Après une brève étude des possibilités qui s’offraient dans le Bas et le Haut-Canada, Baldwin estima que le comté d’Oxford était encore celui où Hincks avait les meilleures chances d’être réélu et il demanda à Brown de faire campagne pour lui. Hincks revint au Canada avant le scrutin, mais une affaire personnelle et pressante le retint à Montréal et l’empêcha de faire même une apparition symbolique dans sa circonscription : il avait été obligé de contracter un emprunt sur un billet d’une valeur de £450 que Theodore Hart avait été incapable de lui payer. Il dut son élection aux efforts de Brown et de Thomas Strahan Shenston*, son mandataire politique dans Oxford. Toutefois, au lieu d’améliorer les rapports entre les deux hommes, il semble que cette situation accrut les sentiments d’insécurité de Hincks et ses soupçons à l’endroit de Brown.
Malgré les doutes qu’il avait entretenus, Hincks vendit le Pilot et accepta volontiers le poste d’inspecteur général des comptes publics dans le ministère formé par La Fontaine et Robert Baldwin en mars 1848. Il eut tôt fait de découvrir à quel point les rumeurs d’instabilité politique ainsi que la mauvaise administration et les dépenses excessives avaient miné la réputation financière et le crédit de la province du Canada, laquelle avait contracté de lourds emprunts pour financer des travaux publics, sans prendre les dispositions nécessaires au règlement des dettes. Son prédécesseur, William Cayley, n’avait pas établi de caisse d’amortissement et il n’avait pas payé l’intérêt ni le principal d’un emprunt de £140 000 qu’il avait lancé en 1846. Or, lorsqu’il assuma ses fonctions, Hincks constata que les dépenses relatives aux travaux publics continuaient d’augmenter. Les obligations canadiennes ne pouvaient être vendues qu’à Londres et bien au-dessous du prix, et les sociétés financières hésitaient même à s’en occuper. Hincks s’efforça donc de rétablir le crédit de la province. Grâce à ses efforts, dans une large mesure, les sociétés Baring Brothers et Glyn, Halifax, Mills and Company devinrent les mandataires financiers du Canada en Angleterre, et bientôt les obligations se vendirent à bénéfice. À la session de l’Assemblée qui débuta en janvier 1849, Hincks parraina un projet de loi qui créa une caisse d’amortissement afin de rembourser éventuellement la dette provinciale.
Au cours de cette session, Hincks consacra également beaucoup d’efforts à la loi garantissant les obligations contractées par les compagnies de chemins de fer. Conçue pour stimuler la construction ferroviaire au Canada, cette loi permettait au gouvernement d’assurer un intérêt de 6 p. cent sur la moitié de la créance garantie d’un chemin de fer dont la longueur prévue dépassait 75 milles, lorsque la moitié de la ligne avait été construite. Persuadé que les chemins de fer constituaient la clé du développement économique au Canada, Hincks fut heureux de constater que le projet de loi, bien que l’on fût en période de dépression, suscitait peu d’opposition à l’Assemblée. Cependant, le projet de loi du gouvernement pour l’indemnisation de ceux qui avaient subi des pertes pendant la rébellion souleva un tollé général à la législature, attira des injures au gouverneur, lord Elgin [Bruce*], et provoqua à Montréal une émeute qui aboutit à l’incendie des édifices du parlement et à des agressions contre les maisons de Hincks et de La Fontaine. Quand les tories envoyèrent sir Allan Napier MacNab* et Cayley en Angleterre pour obtenir le rejet de la loi, le gouvernement pria Hincks d’aller neutraliser leurs efforts. Une fois en Angleterre, il vit qu’il s’avérait impossible que la loi fût déclarée nulle et il s’efforça plutôt d’éveiller l’intérêt des investisseurs pour les titres canadiens.
À peine les tentatives de Hincks commençaient-elles à porter fruit qu’on l’informa de la crise annexionniste qui avait éclaté au Canada. Il comprit que, dans ces conditions, les obligations canadiennes ne pouvaient guère intéresser les investisseurs britanniques, et, profondément déçu, il décida de rentrer au pays. De retour à Montréal, il apprit qu’un manifeste annexionniste avait été signé par un grand nombre d’hommes d’affaires et de membres des professions libérales, principalement dans le Bas-Canada, y compris par les chefs réformistes Luther Hamilton Holton* et Antoine-Aimé Dorion*. Dans ses lettres à Baldwin, il critiqua bientôt celui-ci et La Fontaine pour leur manque de leadership en cette période de crise. « Si des mesures rapides avaient été prises à l’égard des annexionnistes, écrivait-il à Baldwin, ils auraient été mis en échec à l’heure présente au lieu de s’accroître en influence et en nombre. » Il proposait que les signataires du manifeste fussent dépouillés de leurs charges et de leurs titres. Se trouvant dans de telles dispositions, il songeait à quitter son poste. Au printemps de 1850, toutefois, le mouvement annexionniste connut un déclin, et la réputation du Canada sur le marché financier de Londres s’améliora. Peut-être le fait que la Grande-Bretagne s’était relevée de la crise financière de 1847–1848 contribua-t-il également à créer un climat plus favorable à la vente des obligations canadiennes. Avant la fin de mai 1850, le solde d’un emprunt de £500 000 au nom du gouvernement canadien avait été négocié, et les obligations avaient été vendues légèrement au-dessus du pair.
C’est avec une grande méfiance que Hincks accueillit la nouvelle, au printemps de 1851, que Brown envisageait de se porter candidat lors d’une élection partielle tenue dans Haldimand. Depuis quelque temps, il craignait que l’ardeur excessive avec laquelle Brown défendait le Voluntary Principle ne mît en danger l’alliance réformiste avec La Fontaine et ses partisans. En outre, depuis le mois de décembre, au cours duquel le Globe avait largement fait état de la « question de l’agression papale » en Grande-Bretagne et des conséquences de cette affaire pour les Canadiens, Brown était devenu, aux yeux de la plupart des catholiques, le symbole de l’antipapisme fanatique du Haut-Canada. Lorsque Mackenzie décida de briguer les suffrages à cette élection partielle, Hincks et ses collègues du cabinet ne voulurent pas appuyer Brown, par crainte d’accentuer la division parmi les réformistes. Les catholiques de Haldimand s’étant rangés contre lui, Brown fut battu. Dès lors, il devint de plus en plus désabusé du parti réformiste, et le fossé entre Hincks et lui s’élargit. Il se mit à partager les soupçons des Clear Grits, lesquels pensaient que l’influence des Canadiens français amenait le gouvernement à reconsidérer la sécularisation des réserves du clergé, et il craignait que cette influence ne jouât contre le Voluntary Principle, adopté par les réformistes. Hincks se considérait lui aussi partisan de ce principe, mais ses vues à cet égard s’avéraient beaucoup plus modérées que celles de Brown. « Ma conception de la liberté civile et religieuse, expliquait-il à Shenston, me porte à laisser chacune des communautés chrétiennes gérer ses affaires à sa façon. Je ne leur accorderais aucun soutien de l’État, mais je ne leur enlèverais pas le pouvoir de gérer leurs affaires. »
Entre Hincks et Brown, le fossé s’élargit encore le 30 juin 1851, date à laquelle Baldwin démissionna subitement du cabinet parce qu’une majorité des députés du Haut-Canada à l’Assemblée avait appuyé Mackenzie dans une attaque contre la Cour de la chancellerie que Baldwin avait réformée peu de temps auparavant. Logiquement, Hincks devait succéder à Baldwin ; il offrit de démissionner avec lui, mais il n’en éprouvait pas véritablement le désir. Il avait critiqué Baldwin dans son rôle de leader et il estimait probablement être en mesure de diriger les réformistes du Haut-Canada d’une manière plus positive et plus dynamique. Mais il prenait la direction de la section ouest du parti à un moment difficile. L’unité des réformistes était menacée à la fois par les Clear Grits du Haut-Canada et par les « rouges » du Bas-Canada ; et, en même temps, le Globe de Brown critiquait de plus en plus les compromis faits par Baldwin et La Fontaine pour éviter la division. Or, si l’union des Canadas n’était pas préservée, le crédit de la province du Canada allait s’avérer sérieusement affaibli.
Hincks savait que l’alliance réformiste se trouvait mise en danger par l’adhésion intolérante du Globe au Voluntary Principle, et, lorsqu’il succéda à Baldwin, il fit connaître son intention d’exiger que les éditoriaux du journal correspondassent à l’orientation du parti. Mais Brown, incapable d’accepter le leadership de Hincks, cessa au début de juillet toutes relations avec le parti réformiste. À ses yeux, Hincks n’était qu’un opportuniste politique qui attachait plus d’importance au pouvoir qu’aux principes. Hincks, quant à lui, s’estimait réaliste en politique et il voyait en Brown un homme qu’on ne pouvait admettre au gouvernement parce qu’il ne voulait pas reconnaître l’importance de la force politique des Canadiens français. Comme il souhaitait rétablir l’unité du parti, Hincks accueillit favorablement une proposition de William McDougall* suivant laquelle celui-ci lui accordait l’appui de son journal, le North American de Toronto, en échange de l’entrée au gouvernement de deux Clear Grits, John Rolph et Malcolm Cameron*. Cet arrangement enleva toute possibilité de donner au solliciteur général John Sandfield Macdonald* un siège au cabinet (on lui offrit la charge de commissaire des Terres de la couronne), sans parler du poste de procureur général du Haut-Canada qu’il convoitait. Déçu, Macdonald jura : « Je ferai payer Hincks pour cela si je peux. » Hincks était bien obligé de reconnaître que, moins de six mois après qu’il eut pris la direction du parti, deux réformistes influents, Brown et Macdonald, s’en étaient éloignés.
La démission de Baldwin avait incité La Fontaine à revoir sa propre situation et, bientôt, il annonça qu’il allait lui aussi quitter son poste. Le 28 octobre 1851, Hincks et Augustin-Norbert Morin devinrent conjointement les nouveaux premiers ministres ; leur programme comprenait la sécularisation des réserves du clergé, l’abolition de la tenure seigneuriale, l’instauration d’un Conseil législatif électif, une représentation accrue à l’Assemblée, l’élargissement du droit de vote et l’encouragement de la construction ferroviaire. Lorsqu’ils entrèrent en fonctions, Hincks et Morin recommandèrent au gouverneur, lord Elgin, de dissoudre l’Assemblée. Aux élections suivantes, tenues en décembre, les réformistes obtinrent à peu près le même nombre de députés qu’à la législature précédente. En raison du désaccord engendré par les Clear Grits et par l’hostilité de Brown à son égard, Hincks décida de se présenter à la fois dans Oxford et dans Niagara pour être certain de remporter un siège. Victorieux dans les deux circonscriptions, il choisit d’être député d’Oxford.
Convaincu que les chemins de fer allaient apporter une nouvelle ère de prospérité à l’Amérique du Nord britannique, Hincks souhaitait vivement stimuler la construction ferroviaire. Au moment où Baldwin avait annoncé son intention de démissionner, Hincks était en pourparlers avec Edward Barron Chandler* et Joseph Howe* au sujet du financement conjoint, par le Canada, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse, d’un chemin de fer devant relier Halifax à Windsor ou Sarnia sur la frontière occidentale du Canada d’alors. Une entente fut conclue et, en août 1851, Hincks fit adopter par la législature une loi autorisant la participation canadienne au projet. Vers la fin de l’année, toutefois, il apprit avec consternation que le projet était compromis. Il y avait eu mésentente : le gouvernement britannique n’acceptait de garantir l’intérêt d’un emprunt pour la construction du chemin de fer que si ce dernier suivait une route appropriée à des fins de défense traversant le nord du Nouveau-Brunswick et longeant la rive sud du golfe du Saint-Laurent. Comme le Nouveau-Brunswick n’était intéressé qu’à une ligne pouvant desservir la vallée de la Saint-Jean, l’arrangement allait être réduit à néant.
Dans l’espoir d’en arriver à un compromis, Hincks et deux collègues du cabinet, Étienne-Paschal Taché* et John Young*, se rendirent au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse au début de février 1852. Un nouveau projet fut élaboré, mais Howe n’accepta pas la ligne envisagée parce qu’elle devait passer par la vallée de la Saint-Jean ; elle allait donner à Saint-Jean un lien ferroviaire direct avec les Canadas, avantage qui permettrait à cette ville de concurrencer Halifax au titre de principal port de mer de l’Amérique du Nord britannique durant la période de la navigation hivernale. Lors d’un discours magistral qu’il prononça à Halifax, Hincks en appela directement aux marchands et aux citoyens de la Nouvelle-Écosse, et il rallia tout le monde au projet. Howe s’inclina et consentit à « tout ce qu’un Néo-Écossais [devait faire] pour assurer le succès de cette affaire ». Il fallait ensuite que Hincks persuadât le gouvernement britannique de faire volte-face et de garantir l’intérêt de l’emprunt qu’on allait contracter pour un chemin de fer qui, passant à proximité de la frontière américaine, deviendrait vulnérable en cas de guerre. Lorsque le ministre des Colonies, lord Grey, se montra favorable à l’idée d’envoyer une délégation en vue de promouvoir le projet en Angleterre, Hincks partit, à la fin de février, et il fut convenu que Howe et Chandler allaient le rejoindre.
Le chemin de fer constituait le principal motif du voyage de Hincks en Angleterre, mais il espérait également que le parlement impérial abrogeât son Clergy Reserve Act de 1841 et donnât ainsi à la législature canadienne toute liberté de résoudre le problème des réserves comme elle l’entendait. Il voulait, en outre, insister pour que l’on négociât un traité de réciprocité avec les États-Unis. Mais une série de déceptions l’attendaient. Howe ne se rendit pas en Angleterre, bien que son absence ne s’avérât pas un facteur déterminant en fin de compte. Avant l’arrivée de Hincks, les whigs avaient été défaits au parlement, et l’attitude du nouveau ministre des Colonies, sir John Somerset Pakington, lui fit rapidement comprendre que, bien que le gouvernement différât sa décision au sujet du chemin de fer, il n’accorderait pas de garantie, finalement, pour la route de la vallée de la Saint-Jean. Désireux de voir le Canada posséder au moins le tronçon principal reliant Québec à la frontière occidentale, Hincks conclut un arrangement avec la firme britannique Peto, Brassey, Jackson and Betts pour la construction – en tant qu’entreprise privée et non pas publique – d’une ligne d’environ 330 milles de longueur, menant de Montréal à Toronto et à Hamilton.
Avant son retour au pays à la fin du printemps, Hincks en vint à considérer Pakington comme l’incarnation de toutes les déconvenues qu’il avait subies en Angleterre. Ne tenant aucun compte de lui, le ministre des Colonies informa lord Elgin au Canada que le Clergy Reserve Act ne serait pas abrogé durant la session en cours. Informé indirectement de la dépêche de Pakington, Hincks s’empressa de lui servir cet avertissement : « l’agitation ne cessera pas au Canada si l’on tente de régler cette question définitivement en se fondant sur l’opinion de la population de l’Angleterre plutôt que sur celle de la province elle-même ». Enfin, Pakington rejeta la proposition, faite par Hincks, d’inciter les États-Unis à signer un accord de réciprocité (grâce auquel le Canada aurait augmenté ses revenus provenant du péage dans les canaux) en accordant aux navires américains la libre navigation sur le Saint-Laurent. Le ministre des Colonies voulait exiger que les Américains fissent une concession équivalente.
À la session parlementaire qui débuta à la fin de l’été de 1852, Hincks se soucia principalement de faire approuver les arrangements conclus au sujet du chemin de fer et d’obtenir la sanction de l’avertissement qu’il avait donné à Pakington concernant les réserves du clergé. Ses propositions, suivant lesquelles le parlement canadien avait le droit, en vertu de la constitution, de régler la question des réserves hors de toute ingérence de Londres, furent adoptées sans difficulté, malgré les objections soulevées par Brown et Henry John Boulton*. Sous la direction de Hincks et de William Mather Jackson, associé de la firme Peto, Brassey, Jackson and Betts, qui l’avait accompagné lors de son retour au Canada, le projet du Grand Tronc fut modifié, à l’automne et pendant l’hiver de 1852–1853, de manière que le chemin de fer s’étendît de Sarnia jusqu’à Portland, Maine, port ouvert à l’année longue. Soutenu par Hincks, qui entama lui-même des négociations avec Alexander Tilloch Galt*, Jackson acheta ou loua des chartes, des droits et des chemins de fer partiellement construits, et il engagea sa firme dans la construction de quelque 1 100 milles de voie ferrée. Le Grand Tronc devait être financé au moyen d’une émission d’actions et d’obligations lancée en avril 1853 par la Baring Brothers et la Glyn, Mills and Company à la bourse de Londres. L’entrepreneur acceptait de détenir une quantité égale d’actions pour les vendre par la suite, et le gouvernement canadien devait garantir des obligations d’une valeur de £3 000 pour chaque mille achevé. Lorsque ses projets de loi relatifs au Grand Tronc furent présentés à l’Assemblée en 1852, 1853 et 1854, Hincks obtint l’appui largement majoritaire qu’il avait espéré.
Hincks apporta également un soin particulier à son projet de loi sur un fonds d’emprunt municipal. Il avait la conviction que les municipalités du Haut-Canada s’avéraient parfaitement en mesure d’investir des fonds dans les chemins de fer et d’autres grands réseaux de communication, mais il savait combien il leur était difficile de vendre leurs obligations en Grande-Bretagne. En 1852, pour leur faciliter l’accès au crédit, il présenta un projet de loi qui autorisait le gouvernement canadien à vendre des obligations du fonds d’emprunt municipal et à prêter aux municipalités le produit de cette vente afin qu’elles l’investissent dans les compagnies qui construisaient des chemins de fer, des canaux et des routes. À titre de garantie pour ces avances de fonds, la province devait accepter les propres obligations des municipalités. Plusieurs villes et villages allaient en profiter pour étendre leur assise financière au-delà de leurs moyens, mais il semble qu’on n’avait pas prévu ce danger car le projet ne suscita que peu d’opposition à la législature et dans les journaux.
Bien qu’il eût participé à sa première session en qualité de député en 1851, Brown s’était rapidement fait connaître comme le plus ardent critique du gouvernement sur les questions ayant trait aux rapports entre l’Église et l’État et à la représentation au sein de l’Assemblée. Selon lui, Hincks trahissait les vues de Baldwin suivant lesquelles l’université provinciale devait être unique et bien dotée, lorsqu’il présenta en 1853 un projet de loi qui visait à transformer l’University of Toronto en un établissement responsable des examens en vue de la collation des diplômes et à confier l’enseignement à des collèges, confessionnels ou non, qui lui seraient affiliés. Il jugea encore plus néfaste le projet de loi sur les « corporations » ecclésiastiques que le gouvernement présenta cette année-là et qui, à son avis, allait permettre à de nombreux organismes religieux constitués en sociétés de posséder de grandes propriétés foncières inaliénables pour toujours à titre de biens de mainmorte et d’obtenir ainsi de vastes pouvoirs susceptibles de mettre en danger les libertés du pays. Aux yeux de Brown, ce projet de loi et les mesures législatives présentées en 1853 dans le but d’élargir les dispositions relatives aux écoles « séparées » du Haut-Canada montraient que Morin et ses partisans avaient la haute main sur l’alliance réformiste. Pour Brown, la solution résidait dans une représentation basée sur la population (rep by pop) : si le principe d’un nombre égal de députés pour chaque section de la province était remplacé par ce nouveau mode de représentation, le Haut-Canada ne serait plus menacé, puisqu’il possédait maintenant plus d’habitants que le Bas-Canada. Hincks savait que la rep by pop constituait un danger pour l’alliance réformiste et même pour le régime de l’Union. « La vérité était, aurait-il déclaré à l’Assemblée en réponse aux arguments de Brown, que les habitants du Haut et du Bas-Canada n’étaient pas homogènes : ils différaient par les opinions, la langue, les lois, la religion et les institutions, et l’union devait donc être considérée comme [s’opérant] entre deux peuples distincts, chacun élisant un nombre égal de représentants. »
En septembre 1853, les conséquences d’une transaction effectuée par Hincks en 1852 agitèrent l’opinion publique. Peu après son retour au Canada, il s’était vu offrir par le maire de Toronto, John George Bowes*, de se joindre à lui pour acheter des obligations de la ville de Toronto que les entrepreneurs du chemin de fer de l’Ontario, Simcoe and Huron Railroad Union Company désiraient vendre avec un rabais de 20 p. cent. Convaincu qu’il serait en mesure de revendre les obligations avec profit, grâce aux contacts qu’il avait à Londres, Hincks s’empressa d’accepter. Il reçut bientôt, par l’intermédiaire de la firme Glyn, Mills and Company, une offre venant d’un acheteur disposé à acquérir les obligations si celles-ci étaient émises en livres sterling et payables à Londres. Ces exigences ne causèrent aucune difficulté. Le gouvernement du Canada, par une loi votée en 1852, venait de consolider la dette municipale de Toronto, dont les obligations constituaient une partie ; le conseil municipal, ne sachant pas que le maire et Hincks étaient devenus les propriétaires de ces titres, lança de nouvelles obligations en livres sterling payables n’importe où. Ainsi, Hincks et Bowes purent échanger les obligations qu’ils avaient payées £40 000 contre de nouveaux titres qu’ils vendirent aisément au prix de £50 000. Après déduction des dépenses, ils firent un bénéfice net d’un peu plus de £8 000. Cependant, la ville intenta un procès à Bowes, et il fut révélé qu’il avait bien eu Hincks comme associé dans ce tripotage d’obligations que constituait « l’affaire des £10 000 ». Pour sa part, Hincks ne croyait pas avoir posé de gestes malhonnêtes, mais il fut incapable d’endiguer le flot d’insinuations qui s’ensuivit. En conséquence, il se vit également soupçonné d’avoir profité de sa situation et des renseignements confidentiels auxquels il avait accès pour tremper dans toute une série de combinaisons louches.
Brown affirma que Hincks avait été en mesure de faire un bénéfice en achetant des actions à la baisse de la Compagnie du chemin à lisses du Saint-Laurent et de l’Atlantique parce qu’il savait que celle-ci allait fusionner en 1854 avec le Grand Tronc. À la vérité, il n’avait acheté ces actions qu’après l’annonce de la fusion, et leur prix était alors beaucoup plus élevé. Le bruit courut aussi que Hincks avait touché une commission lorsqu’il avait négocié un emprunt en Angleterre pour la ville de Montréal. En fait, les négociations avaient échoué, mais il refusa d’admettre qu’il avait agi de façon malhonnête et il déclara que, s’il avait réussi, il se serait attendu à recevoir une commission. On soupçonna Hincks de malversations lorsqu’on apprit qu’environ 1 000 actions du Grand Tronc avaient été inscrites à son nom dans les registres de la compagnie et que le premier versement sur ces titres avait été fait par un entrepreneur, sir Samuel Morton Peto, qui faisait partie de la firme contractante. Aux yeux de ses ennemis, il était évident que le don des actions de la société ferroviaire constituait un pot-de-vin. D’après les explications – peu convaincantes – de la compagnie, les titres avaient été remis à Hincks en fidéicommis afin qu’il les distribuât au Canada et que les investisseurs du pays pussent ainsi les acquérir au pair, et lui-même n’avait reçu aucune action.
Lancées à partir de septembre 1853, les accusations se multiplièrent jusqu’en juin 1854, tandis que le Globe, la Montreal Gazette et d’autres journaux donnaient à Hincks le surnom de « champion de la corruption ». On laissa entendre que son opposition à la constitution juridique d’une société en vue de construire un canal du côté canadien de la frontière à Sault-Sainte-Marie était motivée par les effets néfastes que ses intérêts financiers allaient subir dans la région. On l’accusa d’utiliser son influence politique afin de permettre à un syndicat de spéculateurs fonciers, auquel il appartenait et qui comptait parmi ses membres Samuel Sylvester Mills* et James Morris*, d’acquérir des propriétés gouvernementales à des prix très inférieurs à leur véritable valeur. Des enquêtes menées par la suite révélèrent que ces accusations reposaient sur des rumeurs et des renseignements inexacts plutôt que sur des faits authentiques.
À l’ouverture de la session, le 13 juin 1854, Hincks était de retour d’un voyage en Angleterre et aux États-Unis où il avait participé aux négociations du traité de réciprocité. Le co-premier ministre dut faire face à une chambre hostile qui était résolue à déloger le cabinet Hincks-Morin. Le gouvernement fut accusé de s’être livré à la corruption et au gaspillage et de n’avoir rien fait concernant la tenure seigneuriale et les réserves du clergé (la loi impériale avait été abrogée à la fin de 1852). Lorsqu’une motion de blâme fut adoptée, Hincks et Morin recommandèrent à Elgin de dissoudre le parlement. Aux élections qui se tinrent en août 1854, Hincks brigua les suffrages dans Renfrew et dans Oxford, parce qu’il craignait, cette fois encore, de subir une défaite dans cette dernière circonscription. Élu aux deux endroits, il décida de représenter Renfrew, conformément à une entente préalable qu’il avait conclue avec John Egan*, lequel avait appuyé sa mise en candidature à cette condition. Hincks et Morin obtinrent le plus grand nombre de sièges, mais non la majorité absolue. Leur gouvernement minoritaire fut défait peu de temps après l’ouverture de la session, qui eut lieu au début de septembre, et les leaders remirent leur démission le 8 de ce mois.
Hincks savait que Brown et John Sandfield Macdonald ambitionnaient de rebâtir le parti réformiste dans le Haut-Canada et il craignait que Brown, à cause de son influence, n’en vînt à détruire l’alliance avec les partisans de Morin et à mettre ainsi en péril l’Union et les perspectives économiques du Canada. Il essaya donc de former un nouveau front politique. On en arriva à une alliance différente de toutes celles qu’il avait envisagées, mais il l’approuvait sans réserve : MacNab entra en communication avec Morin et lui proposa une coalition entre libéraux et conservateurs. Les deux groupes s’entendirent pour inclure dans leur programme commun la sécularisation des réserves du clergé, l’abolition de la tenure seigneuriale et l’électivité du Conseil législatif. À la demande de Morin, MacNab voulut bien admettre au sein de la coalition les partisans de Hincks et, après de nouvelles discussions avec celui-ci, John Ross* et Robert Spence* furent désignés pour représenter son groupe au cabinet.
Une fois le nouveau gouvernement au pouvoir, on mena une enquête sur la conduite de Hincks et de ses associés. Des comités spéciaux de l’Assemblée et du Conseil législatif siégèrent du 26 octobre 1854 à la fin d’avril 1855. Comme il était membre du comité de l’Assemblée, il semble que Brown fut, à certains moments, juge et demandeur à la fois. Mais en dépit des efforts résolus de ce dernier, le comité indiqua dans son rapport que les témoignages entendus ne s’avéraient pas suffisants pour soutenir une accusation de corruption contre un membre quelconque de l’ancien gouvernement. Il s’étonnait même de ce que, après toutes les rumeurs, personne ne s’était présenté dans le but de porter des accusations précises ou de fournir des preuves. Devant le comité, Hincks affirma qu’un homme qui acceptait un poste n’était pas de ce fait privé du droit de prendre part à des investissements légitimes ; une telle attitude se trouvait de nature à susciter des soupçons et des rumeurs de scandale, mais rien ne prouvait qu’il avait utilisé les pouvoirs de sa charge ou des renseignements confidentiels pour réaliser des gains personnels. Il soutenait que la spéculation qu’il avait faite sur les obligations de Toronto constituait une transaction permise et à la portée de n’importe quel investisseur. La Cour de la chancellerie avait déclaré que Bowes, en sa qualité de maire, ne pouvait avoir agi qu’à titre de fiduciaire de la ville de Toronto et qu’il devait, par conséquent, remettre sa moitié du bénéfice à celle-ci. Mais rien ne permettait de poursuivre Hincks relativement à l’autre moitié.
Hincks n’avait pas l’intention de rester en politique ; il résigna ses fonctions de député le 16 novembre 1855. Il projetait de se rendre en Angleterre et en Irlande, et, à son retour, d’accepter le poste de président de la Compagnie du Grand Tronc. Mais il se trouvait encore en Grande-Bretagne lorsque, au printemps de 1856, il accepta plutôt une nomination aux fonctions de gouverneur de la Barbade et des îles Windward ; après les accusations dont il avait été l’objet au Canada, recevoir cette nomination des mains de la reine Victoria constituait la justification finale de sa conduite. Au poste de gouverneur, il s’efforça d’améliorer les conditions sociales et les installations scolaires qui existaient dans les îles et il fut estimé autant par les habitants que par les autorités en Angleterre. Il mit sur pied un bureau d’Éducation non confessionnel et il recommanda l’augmentation du nombre des écoles. Pour lutter contre le paupérisme, il proposa de déplacer un grand nombre de gens dans d’autres îles, sur des terres inoccupées, et de donner à chaque famille le terrain nécessaire à sa subsistance. Son projet n’obtint qu’un succès partiel, car il suscita l’opposition des planteurs qui craignaient une diminution du nombre des travailleurs disponibles. En septembre 1861, Hincks fut nommé gouverneur de la Guyane britannique (Guyana) avec des appointements et un rang plus élevés, et, en même temps, il fut fait compagnon de l’ordre du Bain. Cependant, il entra bientôt en conflit avec un groupe de commerçants et de membres des professions libérales, dont les dirigeants, connus sous le nom de « clique des Bermudes », désiraient enlever le pouvoir aux planteurs et au gouverneur et réclamaient à cette fin un mode de gouvernement plus représentatif. Estimant que la colonie n’avait pas la préparation nécessaire pour adopter le nouveau système, Hincks repoussa leurs demandes. Les querelles qui l’opposèrent au juge en chef de la colonie, William Beaumont, lequel était déterminé à réduire les pouvoirs et l’autorité du gouverneur et de son exécutif, ainsi que le flot incessant des plaintes qui étaient adressées au ministère des Colonies, expliquent sans doute pourquoi Hincks ne fut pas reconduit dans ses fonctions à l’expiration de son mandat en 1869. Cependant, il obtint une recommandation pour le titre de chevalier, qu’il reçut la même année.
Pendant que Hincks se trouvait au Canada en 1869, sir John Alexander Macdonald* lui demanda de remplacer, au poste de ministre des Finances, John Rose qui avait démissionné après que le cabinet eut décidé de retirer son projet de loi sur les banques. Hincks accepta, et, lorsqu’il entra en fonctions le 9 octobre 1869, il s’attaqua à la tâche inachevée – et difficile – de réglementer les banques et la monnaie du pays. Le 13 novembre, il fut élu député de Renfrew North à l’Assemblée.
Rose avait conçu le projet d’éliminer tous les billets émis par les banques canadiennes et de les remplacer par des billets du dominion. Il avait été défait par l’opposition conjointe des hommes politiques libéraux et des commerçants et financiers ontariens tels que le sénateur William McMaster. Hincks préférait, quant à lui, une banque d’émission, mais il savait qu’il lui faudrait accepter un compromis. Le 15 février 1870, il déclara que la Banque de Montréal allait perdre son statut particulier – cette banque était la seule à pouvoir émettre les billets du gouvernement – six mois après en avoir reçu avis. Il obtint ensuite l’assentiment de certains banquiers de l’Ontario, dont McMaster, à un projet de loi qui régissait la circulation simultanée des billets bancaires et gouvernementaux : les billets émis par les banques étaient limités à des montants de $4 et plus ; seuls les billets du dominion pouvaient être émis pour des valeurs moindres. Les banquiers se voyaient ainsi remettre la part la plus lucrative des affaires, mais Hincks améliora la position du gouvernement en exigeant que chaque banque conservât normalement la moitié et jamais moins que le tiers de ses réserves de caisse en billets du dominion. Sa première loi sur les banques suscita une certaine opposition, mais elle fut adoptée par les deux chambres en 1870.
L’année suivante, la portée des principales dispositions de la loi fut élargie et une nouvelle mesure législative consolida la loi de 1870 et les précédentes. Le désir d’en arriver à un compromis se manifesta de nouveau : cédant aux pressions faites par les porte-parole des petites banques, Hincks réduisit de moitié le capital minimum exigé pour les nouvelles banques, soit de $1 000 000 à $500 000 avec 20 p. cent de capital effectif. Toutes les dispositions de la loi s’appliquaient aux 19 banques dont elle renouvelait les chartes et aux futures chartes bancaires, mais des clauses spéciales furent introduites en vue de régir les banques dont les chartes n’avaient pas à être renouvelées et de satisfaire aux besoins particuliers de certains établissements. Hincks était parvenu à dénouer la situation sans issue dont il avait hérité en 1869 et à établir le principe d’une législation générale visant à la fois les banques et la monnaie du pays.
Hincks s’avéra un ministre des Finances compétent ; toutefois, il perdait le goût de la politique et il était déçu d’être accueilli froidement par beaucoup de membres de la coalition libérale-conservatrice. Il fut réélu dans la circonscription de Vancouver aux élections de 1872, mais il souhaitait ardemment être libéré de ses responsabilités ministérielles. Le 21 février 1873, il résigna ses fonctions de ministre, tout en conservant son siège à l’Assemblée. Il s’abstint de se présenter aux élections de 1874 et, quand le gouvernement de Macdonald fut battu, il alla s’établir à Montréal et se mit à rédiger des éditoriaux pour le Journal of Commerce. En 1871, il était devenu le premier président d’un organisme ayant son siège à Toronto, l’Association d’assurance sur la vie, dite la Confédération, et il conserva ce poste jusqu’en 1873 (il demeura membre du conseil d’administration jusqu’en 1879). Il assuma la présidence de la Banque consolidée du Canada en 1875, mais son grand âge et ses infirmités l’amenèrent à négliger ses fonctions et à signer des documents qu’il n’avait pas examinés suffisamment. Lorsque la banque fit faillite, il fut accusé, le 6 février 1879, en vertu de sa propre législation sur les banques, d’avoir fait un « rapport faux et trompeur intentionnellement ». Samuel Cornwallis Monk, juge de la Cour du banc de la reine, le trouva coupable mais, sur une proposition de la défense, remit l’affaire à une séance plénière de la cour. Le premier verdict fut cassé, et Hincks acquitté ; sa négligence lui valut cependant un blâme. Lors d’une assemblée générale extraordinaire des actionnaires de la banque, tenue le 18 septembre, un vote l’expulsa de son poste.
À la retraite, Hincks demeura néanmoins un homme actif et, en 1878, il représenta le gouvernement fédéral au sein de la commission chargée de délimiter la frontière entre l’Ontario et le Manitoba. En outre, il prit plaisir à aider l’historien John Charles Dent, qui rédigeait Canadian portrait gallery et Last forty years, et il se mit ensuite à écrire ses mémoires. Malheureusement, il était bien tard pour s’y mettre, et l’œuvre qu’il fit paraître en 1884 s’avéra très inférieure à ce qu’il aurait été en mesure de produire plus tôt. Sa seconde femme était morte en 1880, et il passa les dernières années de sa vie avec sa fille, Ellen Ready. En août 1885, il attrapa la variole au cours d’une épidémie qui sévissait à Montréal et il mourut le 18 de ce mois.
C’est avant d’être premier ministre que Hincks connut ses années les plus productives. Durant cette période, il acquit, dans le domaine des affaires et des banques, l’expérience sur laquelle sa réputation de gestionnaire financier fut établie, et il devint, par l’intermédiaire de l’Examiner, le principal porte-parole du mouvement réformiste dans le Haut-Canada. Homme politique avisé et prévoyant, il comprit qu’en raison de la permanence du fait français au Canada, une forme quelconque de démocratie associative constituait la clé du pouvoir politique. L’un des premiers réformistes à voir qu’une alliance entre anglophones et francophones allait devenir un facteur essentiel de la politique canadienne, il prit l’initiative de conclure une telle alliance. Il est curieux de constater qu’en 1841, lorsque son pragmatisme politique et sa volonté d’en venir à un compromis l’incitèrent à se séparer momentanément de Baldwin et de La Fontaine, il fut à jamais étiqueté opportuniste politique.
Quand Hincks alla s’établir à Montréal en 1844, il comptait faire du Pilot un lien entre les réformistes des deux parties de la province du Canada, mais il n’atteignit jamais cet objectif. Très influent auprès de La Fontaine et de ses partisans canadiens-français, il s’était cependant éloigné des réformistes du Haut-Canada. À mesure que le prestige de Brown augmentait dans la section ouest de la province, celui de Hincks déclinait, et cette situation lui causait un profond dépit. C’est probablement à cause de son expérience des affaires et des banques qu’il en arriva à voir le gouvernement responsable comme un moyen d’obtenir le pouvoir non seulement de séculariser les réserves du clergé et de résoudre le problème de la tenure seigneuriale, mais aussi de favoriser la construction ferroviaire et l’expansion économique. Il fut le premier réformiste à s’engager à fond dans le développement du potentiel économique du Canada.
Malgré l’enthousiasme avec lequel ils prirent le pouvoir en 1851, Hincks et Morin ne purent atteindre les buts qu’ils s’étaient fixés concernant les réserves du clergé et la tenure seigneuriale. Hincks participa largement à la mise sur pied du Grand Tronc mais, à cause des difficultés qu’elle ne tarda pas à connaître, cette société devint pour lui un passif plutôt qu’un actif sur le plan politique. Il avait espéré réunir les divers éléments du parti réformiste du Haut-Canada, mais il échoua dans ses efforts. Il travailla ensuite à constituer un nouveau front politique qui pourrait sauvegarder à la fois l’alliance entre anglophones et francophones et l’union des Canadas, et il contribua ainsi à former la coalition libérale-conservatrice, au moment même où il était forcé de démissionner en 1854. Il ne fait pas de doute que Hincks considéra les années qui suivirent comme une compensation pour la réputation qu’on lui avait faite ; à la vérité, il joua durant cette période un rôle moins important. Même s’il exerça avec succès les fonctions de gouverneur colonial, puis de ministre des Finances sous John Alexander Macdonald, il ne retrouva jamais son ancien enthousiasme pour la politique et le progrès économique.
On a coutume de voir en Hincks un génie de la finance, mais il serait plus juste de dire qu’il était, dans ce domaine, un administrateur compétent. Grâce à des opérations bancaires adroites, il permit à la Bank of the People de rester solvable durant une période de crise économique. À titre d’inspecteur général des comptes publics, il parvint à rétablir les finances de la province, ce qui aida à refaire la réputation du Canada en cette matière. La firme Baring Brothers et d’autres établissements financiers de Grande-Bretagne le tenaient en haute estime. Samuel Zimmerman* et de nombreux autres entrepreneurs canadiens lui attribuèrent le mérite d’avoir créé un climat économique propice à la construction des chemins de fer et autres projets. Mais il semble qu’il se révélait incapable d’utiliser ses talents pour ses affaires personnelles. Il ne fut jamais un homme riche et il tira rarement de gros profits de ses investissements. Il avait souvent un pressant besoin de sommes d’argent relativement petites et, vers la fin de sa vie, lorsqu’il en vint à rédiger son testament, il ne s’attendait pas à ce qu’il restât grand-chose de ses biens une fois ses dettes payées.
Les plus importants écrits de sir Francis Hincks sont : The political history of Canada between 1840 and 1855 : a lecture delivered on the 17th October, 1877, at the request of the St. Patrick’s National Association, with copious additions (Montréal, 1877) ; Religious endowments in Canada : the clergy reserve and rectory questions : a chapter of Canadian history (Londres, 1869) ; et Reminiscences of his public life (Montréal, 1884).
D’autres publications sont inventoriées dans le National union catalog et la Biblio. of Canadiana (Staton et Tremaine) et son First supp. (Boyle et Colbeck), ou peuvent être trouvées dans la collection des brochures des AO. Hincks fut également le rédacteur en chef de l’Examiner (Toronto), du 3 juill. 1838 à juin 1842, et du Pilot and Journal of Commerce (Montréal), du 5 mars 1844 au 27 mars 1848.
APC, MG 24, B30, 1 ; B68.— BNQ, mss-101, Coll. La Fontaine (copies aux APC).— MTL, Robert Baldwin papers ; Thomas Strahan Shenston papers.— Canada, prov. du, Assemblée législative, App. to the journals, 1854–1855, XIV : app.A.A.A.A.— The Consolidated Bank of Canada : a compilation, J. F. Norris, compil. (Montréal, 1879).— « How history is written : the Hincks to Dent letters », Elizabeth Nish, édit., Rev. du Centre d’étude du Québec (Montréal), no 2 (avril 1968) : 29–96.— Dent, Canadian portrait gallery.— DNB.— Notman et Taylor, Portraits of British Americans.— G. E. Boyce, Hutton of Hastings : the life and letters of William Hutton, 1801–61 (Belleville, Ontario, 1972).— R. M. Breckenridge, The history of banking in Canada (Washington, 1910).— Careless, Brown, I ; Union of the Canadas.— G. M. Craig, Upper Canada : the formative years, 1784–1841 (Toronto, 1963).— Dent, Last forty years.— S. [B]. Leacock, Baldwin, LaFontaine, Hincks : responsible government (Toronto, 1907) ; nouvelle éd. parue sous le titre : Mackenzie, Baldwin, LaFontaine, Hincks (Londres et Toronto, 1926).— R. S. Longley, Sir Francis Hincks : a study of Canadian politics, railways, and finance in the nineteenth century (Toronto, 1943).— Monet, Last cannon shot.— W. G. Ormsby, The emergence of the federal concept in Canada, 1839–1845 (Toronto, 1969).— Adam Shortt, « Founders of Canadian banking : Sir Francis Hincks, most notable of Canadian ministers of finance », Canadian Banker, 33 (1925–1926) : 25–38 ; « Hist. of Canadian currency, banking and exchange », Canadian Banker, 10–13.
William G. Ormsby, « HINCKS, sir FRANCIS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 2 oct. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/hincks_francis_11F.html.
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Auteur de l'article: | William G. Ormsby |
Titre de l'article: | HINCKS, sir FRANCIS |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1982 |
Année de la révision: | 1982 |
Date de consultation: | 2 oct. 2024 |