HUNTER, PETER (baptisé Patrick), officier et administrateur colonial, baptisé le 11 juillet 1746 à Longforgan, Écosse, fils de John Hunter of Knap et d’Euphemia Jack ; décédé le 21 août 1805 à Québec.
Peter Hunter appartenait à une famille de la gentry terrienne du comté de Perth, en Écosse. En janvier 1767, il acheta un grade d’enseigne dans le 2e bataillon du 1er d’infanterie. Promu lieutenant en 1770, il servit à Minorque de 1771 à 1775 et était devenu capitaine quand le régiment retourna en Angleterre. Nommé major en 1779 dans le 92e d’infanterie, il accompagna son régiment aux Antilles l’année suivante. Dès la fin de 1781, on l’avait muté au 1er bataillon du 60e d’infanterie. En novembre 1782, il reçut le grade de lieutenant-colonel dans l’armée (il reçut le grade régimentaire en 1787).
En 1786, l’unité de Hunter était affectée à Halifax ; l’année suivante, il assuma le commandement du 4e bataillon. Au début de 1788, il devint commandant des postes de l’ouest de la province de Québec, son quartier général se trouvant au fort Niagara (près de Youngstown, New York). Face à une famine partielle dont on ressentait encore les effets en 1787, il autorisa la distribution immédiate de provisions par le commissaire de l’armée britannique, sans attendre les ordres de Québec. Au bout de quelques années, des rumeurs circulèrent selon lesquelles les préposés à la distribution, Robert Hamilton et John Butler*, avaient profité de la largesse de Hunter. L’efficacité militaire dont ce dernier avait fait preuve à ce moment-là, comme les soupçons qu’il avait provoqués dans son milieu, allaient caractériser son futur gouvernement dans le Haut-Canada.
En 1789, Hunter partit en congé pour l’Angleterre. Bien que lord Dorchester [Guy Carleton] eût demandé qu’il revînt à Québec, il reçut, en octobre, le titre de surintendant temporaire de l’établissement qui allait devenir la colonie du Honduras britannique (Belize). Ce poste, qu’il occupa jusqu’en mars 1791, lui fournit son unique expérience de gouvernement civil avant de se rendre dans le Haut-Canada. Il traita les problèmes d’une manière autoritaire, ce qu’exigeait peut-être la conjoncture complexe du Honduras, et les magistrats élus de cette colonie s’y soumirent ; or, le Haut-Canada lui offrirait un tout autre contexte pour gouverner. Une fois de retour en Angleterre, Hunter obtint, en 1793, le grade de colonel dans l’armée ; il servit sur le continent en tant qu’officier général en 1794–1795, et aux Antilles en 1795–1796. Après la rébellion irlandaise de 1798, il devint gouverneur militaire du comté de Wexford, où il poursuivit une politique modérée.
Le 10 avril 1799, Hunter fut nommé lieutenant-gouverneur du Haut-Canada, succédant ainsi à Simcoe, et commandant des forces armées des deux Canadas, avec le grade local de lieutenant général. Il arriva à Québec le 13 juin. Presque aussitôt, ses responsabilités civiles, ainsi que celles de son homologue dans le Bas-Canada, Robert Shore Milnes *, s’accrurent. Le gouverneur en chef Prescott fit voile pour la métropole, le 29 juillet, et ne participa plus au gouvernement, même s’il conserva son poste jusqu’en 1807. En août 1800, le supérieur militaire de Hunter, le duc de Kent [Edward Augustus], retourna également en Angleterre laissant Hunter seul responsable des troupes des deux Canadas. En avril 1802, il devint lieutenant général en titre et, en juin 1804, colonel du 9e d’infanterie.
En fait, Hunter se préoccupa avant tout de la situation militaire. En août et septembre, il avait fait une courte visite dans le Haut-Canada, mais il était ensuite revenu à Québec pour se consacrer aux questions militaires. Pendant les six années qui suivirent, il ne changea pas d’un iota l’opinion qu’il se faisait de son commandement. Il soutenait que les troupes régulières dont il disposait, soit 1 528 hommes dans le Bas-Canada et 696 seulement dans le Haut-Canada, étaient des effectifs insuffisants, même en temps de paix. De plus, l’unité provinciale, le Royal Canadian Volunteer Régiment, avait un effectif réduit, et Hunter voyait peu d’espoir de remédier à la situation. La qualité des troupes était une autre affaire inquiétante : les unités britanniques comme les unités locales faisaient preuve d’une piètre discipline et les désertions étaient fréquentes. Cependant, c’est en partie pour la forme que Hunter se plaignit de l’état de ses troupes car il reconnaissait lui-même que le principal théâtre d’opérations pendant les guerres de Napoléon Ier se situait ailleurs. Si des rumeurs de conspirations révolutionnaires préoccupèrent à l’occasion son gouvernement, il n’eut pas à signaler de menace sérieuse contre les deux Canadas.
Les premières dépêches de Hunter expédiées du Haut-Canada répondirent aux espoirs de ses supérieurs qui s’attendaient à le voir réussir à s’acquitter de ses tâches difficiles. Sa visite dans le Haut-Canada en 1799 avait eu pour objectif spécifique d’élaborer un moyen de continuer à faire fonctionner le gouvernement pendant ses absences inévitables. Cette visite confirma ses hypothèses : sa présence serait nécessaire uniquement lors des sessions du Parlement, et un comité permanent du Conseil exécutif pourrait s’occuper de l’administration quand il serait ailleurs. Il proposa donc la création d’un comité, qui reçut l’approbation du secrétaire d’État à l’Intérieur, le duc de Portland. L’administrateur précédent, Peter Russell, et le juge William Dummer Powell* auraient préféré nommer un administrateur selon la procédure plus courante ; néanmoins, Hunter avisa le Conseil exécutif en 1799 qu’il devait être le seul à avoir l’autorité pour gouverner la province « selon les principes que lui dictait son propre discernement et au nom desquels il pouvait assumer seul ces responsabilités ». Il donna instructions au comité de correspondre avec lui et l’autorisa à s’occuper des affaires courantes pendant son absence.
Le comité se composait de Russell, d’Æneas Shaw et de John Elmsley, que Henry Allcock remplaça en 1802. Les trois membres avaient l’autorisation de faire appel à un quatrième (ils s’adressaient ordinairement à John McGill*), si l’un d’entre eux devait s’absenter. McGill devint membre titulaire en 1802, et le procureur général Thomas Scott* en fit partie plus tard. Bien que James Green*, secrétaire de Hunter, n’eût pas de poste officiel dans le gouvernement, il participa beaucoup à son activité et joua le rôle d’agent de liaison avec le conseil quand le lieutenant-gouverneur était à York (Toronto), et avec le comité quand ce dernier était absent. Les conseillers que Hunter préférait, et dont il s’efforçait le plus d’encourager la carrière, étaient ceux qui étaient prêts à consacrer de longues heures aux questions administratives : c’était Allcock, qui eut plus d’influence qu’Elmsley, même avant le départ de celui-ci pour le Bas-Canada, McGill, qui gagna de plus en plus le respect de Hunter pour sa compétence, et puis Scott.
De 1800 à 1802, Hunter avait l’habitude d’assister aux sessions du printemps du Parlement à York puis de retourner à Québec où, à part des visites espacées dans le Haut-Canada, il demeurait le restant de l’année. Au cours de l’hiver de 1802–1803, il se mit à passer davantage de temps dans le Haut-Canada. Par la suite, il réunit le Parlement entre janvier et mars, et resta dans la province pendant la plus grande partie de l’année. Les raisons de son nouvel emploi du temps, il faut les chercher à York plutôt qu’à Québec, sans s’arrêter à ses déclarations publiques, d’après lesquelles il voulait satisfaire les membres du Parlement qui préféraient une session d’hiver à une session de printemps. Dans sa correspondance privée de février 1802, il mentionne deux sujets qui l’amenèrent vraisemblablement à faire cette modification. Tout d’abord, Scott lui fit savoir que des conflits se manifestaient au sein de l’exécutif. En second lieu, des individus mécontents, en particulier Joseph-Geneviève Puisaye*, comte de Puisaye, et Joseph Brant [Thayendanegea], avaient ameuté le public à propos de certains aspects de la politique agraire. Cette dernière question était particulièrement urgente ; la province n’avait pas connu jusque-là ce genre d’opposition et Hunter avouait tacitement, en changeant son calendrier, qu’il ne pouvait pas laisser à d’autres la plus grande partie de l’administration.
Les historiens ne sont pas tendres pour la carrière que Hunter mena par la suite dans le Haut-Canada. Ils jugent souvent le lieutenant-gouverneur en se basant sur les critiques que son gouvernement souleva. Or, il arriva dans le Haut-Canada sans grande expérience de colonies qui faisaient grand cas des institutions britanniques et qui avaient des assemblées élues. Assez strict quant à la discipline, impatient, il était habitué à résoudre les problèmes à la militaire. Selon Isaac Todd, « le général Hunter [était] très ponctuel et [voulait] que tous ceux sous ses ordres le [fussent] ». Cependant, si ses difficultés provenaient en partie de ses colères et de son manque de tact – ses « manières brutales étaient proverbiales partout dans l’armée » – elles étaient dues également à sa tentative de régler et d’accélérer la machine gouvernementale, surtout le système de concession des terres.
Une des principales tâches du Conseil exécutif était de concéder les terres. Chose très importante, l’obtention de terres touchait les intérêts immédiats de toutes les classes de la société. Hunter identifia deux problèmes essentiels : l’absence de politique gouvernementale systématique qui encouragerait la colonisation méthodique de la province, et l’incapacité des fonctionnaires à mener à bien les travaux du conseil. À coup sûr, toute tentative pour appliquer des réformes dans un domaine vital à toute la société devait se heurter à de la résistance et provoquer du mécontentement. Et pourtant, Hunter alla de l’avant, sans se laisser décourager par d’éventuelles dissensions.
Dès le début, en essayant de limiter les grandes spéculations foncières, il fit face à des difficultés, en partie parce que trop de spéculateurs avaient des relations influentes en Angleterre. Des promoteurs, comme le comte de Puisaye, le comte de Selkirk [Douglas], Richard Beasley* et William Berczy, suscitaient constamment des ennuis. Par contre, les établissements auxquels furent mêlés Thomas Talbot* et Alexander McDonell*, et qui connurent du succès, prirent naissance sous le gouvernement de Hunter. D’un autre côté, Hunter évita autant que possible d’ouvrir de nouveaux cantons avant que ceux qui étaient déjà établis soient peuplés. Cette politique était raisonnable, mais elle échoua en partie, car les gens répugnaient en général à s’établir dans les régions arpentées de l’est de la province, dont le sol était beaucoup plus pauvre que celui des régions de l’ouest. En outre, afin d’améliorer le rendement du système de concession des terres, il fit de louables efforts pour augmenter le personnel de bureau et pour régulariser les heures et les méthodes de travail. Dans la même veine, il attira l’attention des autorités britanniques sur les difficultés d’ordre pratique qu’il éprouvait à faire fonctionner le Parlement dans un bâtiment de deux pièces servant aussi d’église, et à forcer les fonctionnaires à administrer leur bureau de chez eux, où ils devaient conserver leurs documents.
Dans deux domaines essentiels, Hunter poussa ses réformes avec une vigueur telle qu’il devint très impopulaire, et l’amertume qui s’ensuivit apparut clairement durant les mandats de ses successeurs, Alexander Grant et Francis Gore*. Hunter avait l’incompétence et la paresse en horreur. Tout comme il accordait un traitement de faveur à des hommes comme Allcock et McGill, pour leur compétence et leur assiduité, il pointait du doigt de hauts fonctionnaires, en particulier William Jarvis, secrétaire de la province, et John Small*, greffier du Conseil exécutif, parce qu’ils remplissaient leurs fonctions sans enthousiasme. Jarvis, par exemple, avait accumulé dans son bureau des lettres patentes qui n’attendaient que d’être expédiées. Il en résulta des retards qui contrarièrent les colons, et de nombreuses réprimandes à l’endroit du secrétaire de la province. Hunter le força à en délivrer davantage. Cependant, Jarvis avait tout lieu de temporiser puisque les honoraires qu’il avait le droit de demander ne couvraient pas ses dépenses et qu’ainsi chaque transaction lui faisait perdre de l’argent. L’enquête que Hunter mena sur le système de concession des terres lui permit d’examiner la structure des honoraires d’alors. En 1804, un nouveau barème offrait une échelle d’honoraires plus élevés, que les fonctionnaires étaient en droit de demander pour leurs services. Et pourtant, Hunter ressentait une telle animosité envers le secrétaire de la province que, lors du débat sur la révision du barème, il ne tint pas compte de l’avis de son conseil voulant dédommager Jarvis de ses pertes, malgré la justesse manifeste de sa demande d’indemnité. Ainsi, une réforme destinée à améliorer le rendement des fonctionnaires en récompensant leurs efforts ne produisit, dans un cas, que de l’hostilité.
Ce nouveau barème n’irrita pas uniquement Jarvis. L’augmentation des honoraires eut pour effet impopulaire d’augmenter les frais de tous ceux qui faisaient une demande de terre. De même, Hunter voulut contrôler les concessions gratuites (celles qui étaient libres de tout droit), et cette initiative affecta tous ceux qui n’avaient pas encore occupé la terre qu’ils avaient droit de réclamer en tant que Loyalistes ou colons militaires. McGill, à titre d’inspecteur général des comptes publics (poste que Hunter venait de créer, en 1801, pour correspondre au poste homologue du Bas-Canada), mena une enquête approfondie sur les demandes individuelles réclamant le statut de loyaliste. Ses constatations eurent pour résultat que, entre 1802 et 1804, Hunter radia plus de 900 noms de la liste de ceux qui avaient droit aux concessions gratuites. En même temps, il essaya d’imposer un délai de validité sur toutes les demandes que faisaient au gouvernement les Loyalistes de sexe masculin (les femmes en étaient exemptées). Dans sa proclamation de décembre 1802, il déclarait carrément qu’il n’y aurait pas de recours pour les requérants qui ne se présenteraient pas devant une des huit commissions qui siégeaient dans différents centres de la province. S’ils « négligeaient outre mesure leur propre intérêt », ils perdraient à jamais leur titre légal de propriété. Nul autre sujet ne souleva d’aussi véhémentes protestations. L’opposition parlementaire liée à William Weekes et à Robert Thorpe* s’en saisit après la mort de Hunter et, en 1806, on supprima les délais.
Hunter se préoccupait davantage de l’efficacité de la gestion que de respecter la lettre des règlements. Selon Thorpe, qui ne donna pas la source de son affirmation, Hunter envoya près de £30 000 en Angleterre pendant qu’il était lieutenant-gouverneur. Thorpe qualifia l’attitude de Hunter à l’égard des honoraires de « rapace ; il ne pensait à rien d’autre qu’à amasser de l’argent grâce à des concessions de terre ». Ce n’était pas la quantité des concessions distribuées qui était contestée, mais plutôt le nombre de lettres patentes confectionnées. On calculait les honoraires des fonctionnaires, y compris ceux du gouverneur, d’après les lettres patentes uniquement. Au début, Gore prit le parti de Hunter contre ces accusations mais, par la suite, il estima que son prédécesseur, en réussissant à faire passer tant de lettres patentes, avait utilisé une méthode « très étrange » pour percevoir pour lui-même des revenus destinés davantage à son successeur. Gore compara les honoraires de Hunter entre le 1er juillet 1802 et le 30 juin 1805 aux siens propres sur une période de trois ans. Les résultats furent intéressants : Hunter avait reçu £4 393 tandis que Gore n’avait obtenu que £1 870. La Lester and Morrogh [V. Robert Lester], représentante privée de Hunter, avait enregistré des versements totalisant plus de £3 400 au compte personnel de Hunter, durant une période de 17 mois répartis sur les années 1804 et 1805. S’il s’agit d’un montant représentatif de ce que gagnait Hunter, celui-ci avait fait un assez bon profit, quoique bien moindre que celui que Thorpe lui reprochait.
L’insatisfaction de Hunter à l’égard des usages administratifs du Haut-Canada se doublait d’un regard sombre sur l’ensemble de la société coloniale, et il ne comptait guère sur les colonies pour former les membres des différentes professions. Tout comme il regrettait l’inexpérience des officiers de la province, laquelle expliquait, selon lui, le peu de discipline des volontaires canadiens, il déplorait aussi les normes des gens de justice. Même si finalement il ne réussit pas à convaincre les légistes de la couronne, il appuya fortement les arguments d’Allcock en faveur de la création d’une cour de la chancellerie dans le Haut-Canada. Il présumait cependant qu’une cour de ce genre serait pourvue d’un personnel venu d’Angleterre, car les avocats de la province n’avaient pas l’expérience des cours d’equity, certains même ne possédant absolument aucune formation professionnelle. En outre, bien qu’il se fût donné beaucoup de mal, en 1803, pour obtenir des fonds en vue de bâtir des églises anglicanes dans la province, il ne compta que sur le clergé anglais pour desservir cette colonie éloignée.
Hunter jugeait quand même moins sévèrement le potentiel commercial de la colonie, et, dans ce domaine, il usa même de son autorité militaire pour promouvoir les mesures commerciales relevant de son administration civile. Les grands travaux publics dépendaient du génie royal, et le lieutenant-gouverneur travailla étroitement avec Gother Mann*, ingénieur en chef à Québec, à l’amélioration du réseau des transports interne du Haut et du Bas-Canada. Hunter donna la priorité au réseau du fleuve Saint-Laurent, auquel on avait prêté peu d’attention depuis la construction de ses premières écluses, de 1779 à 1783. Si Hunter et Mann ne réussissaient pas toujours à obtenir l’approbation pour des constructions strictement militaires, ils avaient plus de succès lorsqu’ils pouvaient souligner l’avantage supplémentaire à tirer d’un usage commercial éventuel. De son propre chef, Hunter autorisa, en 1801, la mise en branle immédiate des réparations essentielles des écluses. L’année suivante, Mann entreprit le creusage d’un nouveau canal aux Mille Roches et aux Cascades (près de l’île des Cascades), dans le Bas-Canada, à un coût évalué à £2 583. Selon Mann, les différentes améliorations apportées sous Hunter suffisaient à recevoir les barges de plus grandes dimensions qui naviguaient sur le Saint-Laurent depuis 1783. D’ambitieux marchands du Haut-Canada, comme Richard Cartwright, en espéraient davantage, mais ils se calmèrent peut-être en partie quand Hunter rétablit les règlements du trafic fluvial que lord Dorchester avait fait adopter en 1795. Au lieu de retourner à vide du Haut-Canada à Montréal, les navires de la couronne pouvaient accepter des marchandises de négociants du secteur privé, à un coût modeste pour les expéditeurs.
Quand Hunter ne put plus justifier l’emploi d’ingénieurs pour des fins militaires, il pressa le Parlement du Haut-Canada, en 1804 surtout, de s’engager à faire construire des routes. Il présida l’achèvement de la route Danforth et l’ouverture du premier tronçon de route dans l’établissement de Talbot. Tout en reconnaissant que la province ne pouvait pas se permettre, par elle-même, des améliorations appréciables, il croyait néanmoins possible d’augmenter les revenus. Grâce à son appui, on vota une loi qui créait des ports d’entrée et prévoyait la perception de droits sur les marchandises provenant des États-Unis [V. Colin McNabb].
Hunter s’intéressa tout particulièrement aux mesures commerciales. En tant que commandant en chef, il s’occupa directement des gros achats de vivres faits par le commissariat de l’armée britannique. Pour les marchands du Haut et du Bas-Canada, le ravitaillement de cette armée représentait déjà un des piliers de leur commerce. Hunter encouragea le commissariat à leur acheter autant que possible et, sous sa gestion, le volume de farine et de pois acheté dans les deux provinces augmenta considérablement. Il se servit aussi du commissariat pour développer et diversifier l’économie du Haut-Canada. C’est de cette région que les marchands commencèrent pour la première fois, en 1800, à expédier du blé et de la farine par bateau aux grossistes du Bas-Canada [V. Joseph Forsyth]. Dans une directive, en 1803, Hunter tenta d’inaugurer un nouveau secteur commercial en donnant ordre au commissaire général John Craigie d’acheter dans le Haut-Canada autant de farine que possible destinée au Bas-Canada. L’armée avait acheté de la farine dans le Haut-Canada depuis les années 1780 mais, sous le gouvernement de Hunter, le commissariat acheta aussi du porc salé et du bœuf frais, généralement par l’entremise de McGill en sa qualité de préposé aux achats.
En 1803, les supérieurs de Hunter en Grande-Bretagne avaient évolué bien au-delà de l’appui relativement prudent qu’il avait apporté au commerce des vivres dans les deux Canadas. Ils comptaient sur l’épargne dans les coûts de transport, si les deux provinces pouvaient ravitailler les troupes d’un bout à l’autre de l’Amérique du Nord britannique et peut-être même celles des Antilles. L’opinion publique dans les colonies de l’Amérique du Nord britannique permit à Hunter de réprimer tout optimisme excessif. Le lieutenant général Henry Bowyer, commandant des forces armées en Nouvelle-Écosse, demanda à Hunter des approvisionnements de Québec plutôt qu’à ses fournisseurs habituels des États-Unis, mais il le fit de mauvaise grâce et uniquement parce qu’il en avait reçu l’ordre. Il doutait que Hunter pût fournir autre chose que de la farine, soulignait les difficultés de livraison, vu l’absence de transport maritime régulier de Québec à Halifax, et se demandait, advenant l’expédition de farine, si elle équivaudrait, en qualité ou en prix, au produit américain. Cartwright et Hamilton, principaux conseillers de Hunter en matière de commerce, recommandèrent à ce dernier de s’abstenir de répondre à cette demande, citant en particulier le manque de maturité de l’agriculture du Haut-Canada. Ils voyaient avec plaisir apparaître un marché assuré pour le surplus des produits des fermiers, mais le prévenaient qu’étant donné l’absence d’un tel marché dans le passé, la province était incapable d’assurer un approvisionnement immédiat. À propos du bœuf et du porc, Cartwright déclara sans ménagement que les deux Canadas étaient alors « loin d’être de taille » à répondre à leur propre demande. Cette constatation amena Cartwright à conclure qu’il ne fallait pas trop entreprendre, de crainte de compromettre les commandes à venir par un échec. Sous Hunter, le commissariat appuya régulièrement les marchands qui vendaient des produits canadiens, mais en tenant toujours compte de l’offre et en s’assurant toujours d’un surplus suffisant pour éviter les déceptions.
Quoique Cartwright et Hamilton eussent approuvé les efforts de Hunter, à part eux, bien peu de personnes lui reconnurent du mérite. Au contraire, ses efforts ajoutèrent à la jalousie et à la rancœur de ceux qu’il n’avait pas aidés dans leur carrière. Hunter prit fait et cause pour le milieu des marchands parce qu’il était familier avec les méthodes des hommes d’affaires et qu’il appuyait leurs aspirations à l’égard de la province. Il ne se cachait pas pour afficher ses préférences ; après sa mort, McGill parla de lui comme de son « très regretté protecteur ». Par contre, ceux qui n’appartenaient pas à ce milieu favorisé perçurent, avec Thorpe, une « aristocratie de boutiquiers », composée de « colporteurs écossais », qui avait longtemps « irrité et opprimé le peuple ». Les avantages que pouvaient en retirer les fermiers individuels et les petits commerçants restaient à venir ; il n’était pas possible d’en sentir l’effet dans l’immédiat. Hunter ne reçut pas plus d’éloges dans la province pour s’être intéressé à stimuler la croissance économique que pour avoir voulu appliquer les meilleures méthodes commerciales à la gestion des bureaux gouvernementaux.
Du temps de Hunter, la critique s’inspira tout autant de son style de direction que de ses décisions d’ordre politique, et les historiens ont adopté dans une grande mesure le ton de cette critique. Il est certain que les manières autoritaires de Hunter convenaient mieux à un régiment ou même à une grande entreprise familiale. La rudesse faisait probablement partie de son caractère, et sa mauvaise santé ne fit sans doute que l’accentuer. En 1799, il souffrait de maux d’estomac caractérisés par de la dysenterie et par une affection hépatique. Et de surcroît, il avait la goutte. Il ne possédait ni l’art ni la grâce qui permettent, sans blesser, d’exercer le pouvoir et de prendre des décisions. À part Scott et son aide de camp, le major William Samuel Currey, peu de gens réussirent à approcher Hunter, encore moins à nouer de simples relations avec lui, à cause de ses manières distantes. Sur le plan personnel, sa façon sans nuances de percevoir les hommes aboutit naturellement à du favoritisme. La plupart de ceux qu’il fit monter en grade étaient compétents, mais de nombreux hauts fonctionnaires estimaient que son antipathie manifeste à leur égard avait bloqué leur avancement.
Quand Hunter mourut subitement en août 1805, il laissait une province assaillie de difficultés. Après sa mort, un véritable tumulte éclata à l’Assemblée. Selon son successeur Alexander Grant, la session de 1806 se passa à « vomir des doléances et des récriminations à l’endroit du gouvernement du général Hunter et à harceler [Grant] et [les] favoris [de Hunter] ». Les récriminations les plus vives touchaient au fait qu’il n’avait pas tenu compte du droit de l’Assemblée d’introduire des projets de loi concernant les subsides. À partir de 1803, Hunter avait réglé certaines dépenses à. même des fonds réunis par la chambre, sans l’assentiment préalable de celle-ci. Lorsque, par la suite, il avait présenté les comptes, les membres de l’Assemblée les avaient approuvés sans protester : il est probable que c’était un signe de sa redoutable présence.
Dans quelle mesure est-il possible de rendre Peter Hunter responsable de l’opposition parlementaire qui éclata après sa mort et qui est habituellement associée à Weekes, à Thorpe et à Joseph Willcocks ? Le mécontentement que Thorpe découvrit lors de sa tournée dans l’ouest de la province et la presqu’île du Niagara en 1806 provenait davantage des animosités et des inégalités régionales que de la personnalité du lieutenant-gouverneur ou de ses mesures politiques. Et pourtant, Thorpe avait des raisons de prétendre que Hunter avait traité les gens de la province comme des soldats, voulant dire par là qu’il les traitait sans aucun égard. Après son mandat, Loyalistes, colons américains, députés à l’Assemblée formaient autant de groupes qui devinrent plus conscients que leurs intérêts étaient différents et furent davantage disposés à les poursuivre et à les protéger par le biais de la politique. Les essais de réforme administrative de Hunter étaient nécessaires ; comme le disait Cartwright, « ce qui [était] étonnant [c’était d’avoir] toléré si longtemps une telle négligence coupable ». Mais ces initiatives allaient à l’encontre du mouvement de la société du Haut-Canada : elles affectaient trop de groupes et trop de gens. Il s’ensuivit que la province se polarisa davantage et que la possibilité d’une opposition au gouvernement s’intensifia.
ANQ-Q, CE1-61, 24 août 1805.— AO, MS 75 ; MU 1730.— APC, MG 23, GII, 10, vol. 4 : 1750–1753 ; MG 24, A6, civil letterbook, 40, 98, 110, 117–119 ; military letterbook, 1, 38, 78, 81, 137, 291, 324 (transcriptions) ; RG 1, E14, 13 ; RG 8, I (C sér.), 107 : 102 ; 108 : 26, 52, 83, 92s., 105, 121, 127 ; 109 : 18, 126 ; 223 :290 ; 225 : 12, 16, 19, 21, 35, 40, 51s.— BL, Add.
En collaboration, « HUNTER, PETER (baptisé Patrick) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 2 oct. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/hunter_peter_5F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/hunter_peter_5F.html |
Auteur de l'article: | En collaboration |
Titre de l'article: | HUNTER, PETER (baptisé Patrick) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1983 |
Année de la révision: | 1983 |
Date de consultation: | 2 oct. 2024 |