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RAPHAEL, WILLIAM, peintre, photographe, professeur d’art, illustrateur d’anatomie et restaurateur de tableaux, né le 22 août 1833 à Nakel, Prusse, dans une famille d’au moins sept enfants ; le 29 octobre 1862, il épousa à Montréal Ernestina Danziger (décédée en 1925), et ils eurent neuf enfants, dont Samuel, qui devint artiste professionnel à New York ; décédé le 15 mars 1914 à Montréal.
Dans sa jeunesse, William Raphael, aspirant artiste issu d’un milieu juif orthodoxe, se rendait souvent de Nakel à Berlin pour suivre des cours. À l’Académie des beaux-arts, il eut pour maîtres Johann Eduard Wolff, portraitiste, et Karl Begas, portraitiste, peintre de genre et peintre d’histoire. Par la suite, ses sobres représentations de la nature témoigneraient de l’influence de Begas, qui se rangeait parmi les réalistes du Biedermeier (par opposition aux romantiques du Biedermeier ou romantiques de l’Allemagne du Nord). Il ne s’éloignerait jamais beaucoup de sa formation académique, ni dans son œuvre ni dans son enseignement.
Les neuf petits carnets combinant croquis et journal intime tenus par Raphael à compter de l’âge de 17 ans révèlent bon nombre d’aspects importants de sa vie, de sa carrière et de son art. On y apprend qu’il dut interrompre ses études à Berlin en avril 1856, peut-être parce que son père était malade. Après la mort de celui-ci en juillet, il fit un dernier séjour à Nakel et peignit les portraits de 34 amis et membres de la famille. La situation politique pourrait avoir contribué à sa décision de partir ; deux croquis suggèrent qu’il y avait alors des combats à Nakel. À l’instar de quelques-uns de ses amis et parents, il résolut de tenter sa chance en Amérique du Nord. Après un séjour de quatre mois à New York, il poursuivit sa route jusqu’à Montréal, où vivait l’un de ses frères. Il arriva par train le 23 avril 1857, mais, neuf ans plus tard, il enjoliva ce moment dans son plus célèbre tableau de genre, intitulé par lui Immigrants at Montreal (rebaptisé par la suite Behind Bonsecours Market, Montreal). On le voit au centre d’une scène de marché animée mais harmonieuse, au bord du fleuve, tenant un sac dans la main droite, son carton de dessins sous le bras gauche et le chandelier rituel de sa famille dans la main gauche. Ce pittoresque paysage urbain se trouve maintenant au Musée des beaux-arts du Canada.
Pendant ses premières années dans le Bas-Canada, Raphael assura sa subsistance en exécutant des portraits de commande et des travaux liés à la photographie. De 1859 à 1860 au moins, il fut employé comme artiste au studio de photographie de William Notman*. Dès 1863–1864, il était associé au photographe A. B. Taber. On suppose qu’il s’intéressait encore à la photographie et à l’art du portrait en 1871, car le Musée des beaux-arts du Canada possède une toile de cette année-là, McFarlane children, signée par lui et par le photographe James Inglis. Le fait qu’il s’annonçait comme artiste et photographe en 1908 montre qu’il avait toujours besoin du portrait pour gagner au moins une partie de ses revenus.
Les portraits de Raphael que l’on a pu localiser représentent des personnes de milieux très divers. L’un d’eux a pour sujet un Juif allemand, Hermann Danziger, dont il épousa la fille de 15 ans, Ernestina. En acquérant de la renommée, il se mit à peindre des notables, le plus souvent à l’huile, soit d’après des photographies ou d’après modèle. On a trouvé des portraits du docteur Louis-Édouard Desjardins, du docteur Francis Wayland Campbell*, du docteur Aaron Hart David, du révérend Abraham De Sola* de la congrégation Shearith Israel (qui célébra son mariage), du chanoine Joseph-Octave Paré* et de plusieurs hommes politiques canadiens-français, entre autres Clément-Charles Sabrevois* de Bleury. Des huiles de Raphael représentant des gouverneurs généraux du Canada auraient orné les murs des édifices du Parlement à Ottawa. Datée du 10 juillet 1897, une photographie d’un tableau intitulé Gladstone and Laurier at Hawarden Castle montre les deux premiers ministres debout, bras dessus bras dessous. L’original demeure introuvable ; il pourrait avoir été détruit, avec d’autres toiles de l’artiste, dans l’incendie qui ravagea l’immeuble central du Parlement en 1916. Par ailleurs, Raphael avait accepté en 1905, à la demande du juge Louis-François-Georges Baby* et de William Douw Lighthall*, de copier des portraits rares de bâtisseurs de la Nouvelle-France et du Québec. Ces tableaux ont été exposés au château Ramezay de 1908 à 1976.
Les grands portraits de famille peints par Raphael en guise de souvenirs sont surtout des bustes et ont pour la plupart une allure guindée. Son autoportrait (non daté) est plus décontracté, comme les études en pied montrant sa femme et ses enfants dans un décor haut en couleur, par exemple Ernestina assise dans l’escalier de sa véranda avec son chien dans Lady in pink knitting outdoors (non daté). La scène où deux de leurs fils font de la luge, Fletcher’s Field, Montreal (1880), le portrait de leur fils Harry jouant à la toupie, Boy with a top (1879), et Boy, ducks and cats (1884), peint sans trop de rigueur, contiennent tous du mouvement. Ils contrastent avec Irish immigrant (1870), qui représente un personnage en haillons, et Portrait of a boy (1875), hommage posthume commandé par les parents du défunt.
À l’instar de Cornelius Krieghoff*, Raphael était connu pour ses tableaux de genre sur la vie des habitants et des autochtones. De facture réaliste, ces compositions étaient exécutées à partir de croquis minutieux. Pourtant, Raphael leur conférait une atmosphère détendue par des mises en scène souvent pleines d’esprit. Ainsi, activité débordante, détails anecdotiques et humour caractérisent la scène hivernale Bonsecours (1880). Le mouvement et le thème romantique de la poursuite l’intéressaient particulièrement, comme en témoigne Habitants attacked by wolves (1870). Dans ce tableau et dans Royal mail, New Brunswick (1864), on sent bien les rigueurs de l’hiver canadien. Par contraste, une atmosphère paisible se dégage de St. Jean Baptiste parade outside the Bank of Montreal (1875), qui fait très couleur locale. L’artiste a allégé cette composition bien ordonnée en peignant des curieux dans les fenêtres et des femmes élégantes qui bavardent au-dessous.
Raphael fit divers paysages en parcourant des régions du Canada, les États-Unis et l’Écosse. Il capta les humeurs de la nature à toutes les heures du jour. Bon nombre de ses œuvres montrent qu’il aimait peindre les signes de la présence humaine : églises, châteaux, vieilles demeures, bateaux et canots. Ses tableaux de campements amérindiens ont une inestimable valeur documentaire. L’un d’eux, Indian encampment on the lower St. Lawrence (1879), est sombre et mystérieux. La tente contient à peine assez de lumière pour que l’on discerne les autochtones qui conversent à l’intérieur. Raphael choisit cette scène éclairée par la lune comme morceau de réception ; grâce à elle, il fut admis en 1880 comme membre fondateur de l’Académie royale des arts du Canada.
Quelques huiles originales de Raphael ont été reproduites sous forme de lithographies. Ainsi, la maison montréalaise Roberts and Reinhold publia en 1869 des reproductions d’un tableau anecdotique de 1868, The early bird catches the worm. Selon des journaux, il s’agissait du « premier essai du procédé chromo[lithographique] au Canada ». En 1870, à l’intention des membres de l’Association des beaux-arts de Montréal, la Burland, L’Africaine and Company reproduisit par le même procédé une toile semblable à Habitants attacked by wolves, peinte en 1869 et intitulée Pursued by the wolf pack. En 1881, l’association reproduisit par procédé photomécanique Head of Iroquois chief, Caughnawaga et Scene at Murray Bay, et les publia dans un recueil intitulé Portfolio of photo-prints from paintings [...]. La même année, Lucius Richard O’Brien*, président de l’Académie royale des arts du Canada, invita Raphael à soumettre quatre illustrations d’habitants pour Picturesque Canada [...] (Toronto, 1882–1884). En 1950, le Musée des beaux-arts du Canada a publié à Montréal, à partir d’originaux de sa collection, The first portfolio of Canadian drawings. Les deux œuvres de Raphael qui y figurent ressemblent à celles de Picturesque Canada.
Les natures mortes de poissons, de volailles suspendues et d’arrangements floraux, peintes par Raphael et à la mode à l’aube du xxe siècle, sont moins connues. Par ailleurs, diverses congrégations catholiques de Montréal lui commandèrent des copies de tableaux européens ou, en de rares occasions, des œuvres originales, de sorte qu’il peignit beaucoup de scènes religieuses.
L’apport de Raphael à l’enseignement des arts mérite d’être signalé. Il enseigna à des élèves du secondaire et à des aspirants artistes professionnels. Dès 1866, il avait fait de la réclame comme « maître de peinture de paysage ». Il reconnaissait qu’« aucun artiste ne pouvait vivre [à Montréal] sans enseigner [...] à cause du petit nombre d’acheteurs et de leur prédilection pour l’art français et hollandais plutôt que pour les œuvres canadiennes de qualité ». La High School of Montreal et l’Association des beaux-arts de Montréal figurent parmi les établissements de langue anglaise où il enseigna. En 1881, lorsque l’association ouvrit son école, Raphael donna le premier cours de peinture et de dessin de figure aux élèves avancés. Pendant l’année scolaire 1881–1882, il prit aussi en charge la classe de composition et de paysage d’Allan Aaron Edson* ainsi qu’un cours de peinture et de dessin de figure d’après l’antique. Ses collègues de l’association lui reprochaient d’utiliser des méthodes pédagogiques désuètes. Finalement, il fut remplacé par des artistes plus jeunes, Robert Harris et William Brymner*, qui employaient les méthodes des ateliers français, diamétralement opposées aux siennes. Les nouvelles tendances artistiques – qui, ironiquement, apparurent pendant la période de sa carrière où il fut le plus en vue – lui échappaient. Il exerça des pressions sur l’Académie royale des arts du Canada afin d’avoir des fonds pour ouvrir une école, mais il n’en reçut pas.
Raphael enseigna aussi dans des écoles de langue française, principalement chez les Sœurs de Sainte-Anne, à leur maison mère de Lachine et dans certains de leurs autres couvents, de 1879 à 1914. Tant à ces endroits qu’au pensionnat Villa-Maria de la Congrégation de Notre-Dame, il devait recourir à des démonstrations et à des exemples parce qu’il ne maîtrisait pas assez le français.
Au moins à compter de 1885, Raphael eut sa propre école, où il enseignait le dessin et la peinture à 30 élèves. Deux ans plus tard, il agrandit son atelier pour recevoir des élèves de deux niveaux. Des critiques d’art de journaux montréalais firent des commentaires favorables sur les expositions de leurs travaux et vantèrent ses talents de pédagogue. Plusieurs de ses élèves connurent la renommée. Wyatt Eaton*, qui avait reçu des leçons particulières de Raphael dans les années 1860, devint un portraitiste à succès. William Townley Benson pratiqua professionnellement l’art du paysage au Mexique. Sœur Saint-Sylvestre décora des chapelles de la Congrégation de Notre-Dame dans différentes régions du Canada et des États-Unis. Sœur Marie-Arsène, directrice de l’école d’art des Sœurs de Sainte-Anne, et sœur Marie-Hélène-de-la Croix, la protégée de Raphael qui lui succéda, produisirent des tableaux religieux et des portraits pour divers couvents et églises de leur congrégation.
En outre, Raphael fut reconnu de son vivant pour ses talents en dessin d’anatomie et en restauration de tableaux. Il créait des schémas pour aider les médecins dans leur enseignement et produisait des illustrations pour des périodiques médicaux. Le docteur William Osler, qui continua de recourir à ses services même après s’être installé aux États-Unis, louait ses « beaux travaux anatomiques ». Raphael restaurait régulièrement des toiles pour des églises et des couvents. On lui confia par exemple un groupe de copies de tableaux italiens réalisées par Antoine-Sébastien Falardeau*.
Même s’il devait vaquer à diverses occupations pour subvenir aux besoins de sa femme et de leurs neuf enfants, William Raphael trouva le temps d’appartenir à quelques organisations sociales et au moins à un organisme religieux. Il fut admis dans la franc-maçonnerie le 19 avril 1864 et devint membre fondateur du temple Emanu-El de Montréal en 1882. Sa participation à de nombreuses associations professionnelles fut plus intense. Membre de l’Association des beaux-arts de Montréal à compter des années 1860, il contribua à la fondation de la Société des artistes canadiens en 1867, appartint à l’Ontario Society of Artists à partir de 1879, devint membre fondateur de l’Académie royale des arts du Canada en 1880 puis du Pen and Pencil Club de Montréal en 1890, et fit partie en 1904 du Conseil des arts et manufactures de la province de Québec. Il exposa régulièrement à la Société des artistes canadiens, à l’Association des beaux-arts de Montréal et à l’Académie royale des arts du Canada, mais peu à la Royal Society of British Artists (1877–1878), à l’Ontario Society of Artists (1879, 1897) et au Pen and Pencil Club (1890–1891). Après son décès, on vanta son amabilité, son humilité et son dévouement total à son art. Témoins du xixe siècle canadien, ses peintures, dessins et croquis constituent un héritage précieux.
On trouve les peintures et les croquis de William Raphael au Musée de Beaux-Arts de Montréal, au Musée des Beaux-Arts du Canada (Ottawa), au Musée McCord d’histoire canadienne (Montréal) et dans diverses collections publiques et privées au Canada et à l’étranger. Les McGill Univ. Libraries (Montréal), Osler Library, conserve des exemples de ses dessins d’anatomie.
ANQ-M, CE1-97, 29 oct. 1862.— Arch. privées, S. R. Goelman (Toronto), Entrevue avec Émile Falardeau, 19 mars 1978.— Cimetière du Mont-Royal (Outremont, Québec), Section du temple Emanu-el, pierre tombale no 105.— Musée des Beaux-Arts de Montréal, Bibliothèque de référence, Dossier Raphael.— Musée des Beaux-Arts du Canada, Bibliothèque, Carnets à croquis de Raphael ; Dossier Raphael.— Musée McCord d’histoire canadienne, M17373–17374 (carnets à croquis de Raphael).— Gazette (Montréal), 9 juin 1885, 3 juin, 11 juill. 1886.— Montreal Daily Witness, 14 mars 1888.— Montreal Herald and Daily Commercial Gazette, 8 juin 1887.— Annuaire, Montréal, 1863–1864, 1867–1868.— Art-Journal (Londres), nouv. sér., 8 (1869) : 157.— Canadian men and women of the time (Morgan ; 1898 et 1912).— S. [R.] Goelman, William Raphael, r.c.a. (1833–1914) (catalogue d’exposition, Galerie Walter Klinkhoff, Montréal, 1996) ; « William Raphael, r.c.a. (1833–1914) » (mémoire de m.a., Concordia Univ., Montréal, 1978).— J. R. Harper, Early painters and engravers in Canada (Toronto, 1970).— Journal of Anatomy and Physiology (Londres), 13 (1879), illustration no 17.— Montreal General Hospital, Reports, Clinical and Pathlogical, William Osler, édit., 1 (1880) : 192, 206, 232.— « William Osler and William Raphael », Osler Library Newsletter (Montréal), no 83–84 (1996–1997) : 1–3.
Sharon Rose Goelman, « RAPHAEL, WILLIAM », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 2 oct. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/raphael_william_14F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/raphael_william_14F.html |
Auteur de l'article: | Sharon Rose Goelman |
Titre de l'article: | RAPHAEL, WILLIAM |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1998 |
Année de la révision: | 1998 |
Date de consultation: | 2 oct. 2024 |