BAILLAIRGÉ, FRANÇOIS, peintre, sculpteur, architecte et fonctionnaire, né le 21 janvier 1759 à Québec, fils de Jean Baillairgé* et de Marie-Louise Parent ; le 9 janvier 1787, il épousa au même endroit Josephte Boutin, et ils eurent six enfants dont un seul, Thomas*, atteignit l’âge adulte ; décédé le 15 septembre 1830 dans sa ville natale.
À l’âge de 14 ans, François Baillairgé entreprend son apprentissage en menuiserie, en sculpture et en architecture auprès de son père. Il bénéficie aussi des conseils du compagnon de ce dernier, le sculpteur Antoine Jacson*. Il fréquente par la suite le petit séminaire de Québec pour y suivre les cours de mathématiques donnés par les prêtres Jean-Baptiste Lahaille* et Thomas-Laurent Bédard*.
En juillet 1778, Baillairgé s’embarque pour Paris. Il est fort probable que ce soit Bédard qui ait rendu ce voyage possible. Ce dernier confie même au séminaire des Missions étrangères à Paris le soin de l’encadrer. Grâce à cette protection, Baillairgé reçoit le statut d’élève protégé lors de son entrée à l’école de l’Académie royale de peinture et de sculpture, le 21 février 1779. Par le fait même, il est dispensé de participer au régime d’émulation qui détermine les places dans l’école, où il côtoie sans doute les meilleurs dessinateurs et sculpteurs de la relève néo-classique.
Baillairgé semble toutefois avoir été relativement imperméable aux rigueurs de cette nouvelle manière. Il acquiert une bonne partie de sa formation à l’extérieur de l’académie, dans les ateliers où il reçoit des leçons particulières. Ainsi il étudie la sculpture chez Jean-Baptiste Stouf, la peinture et le dessin avec un dénommé Julien, probablement Simon Julien. De même, il suit avec assiduité des cours de perspective et d’anatomie, offerts respectivement par Jacques-Sébastien Leclerc et par le chirurgien Jean-Joseph Sue. Il n’étudie pas vraiment l’architecture, mais plusieurs esquisses rapides et quelques écrits révèlent qu’il a visité de nombreux monuments parisiens, notamment le palais des Tuileries et l’église Sainte-Geneviève (le Panthéon), chef-d’œuvre de Germain Soufflot.
Baillairgé quitte Paris le 8 mars 1781 ; sa formation reste inachevée. À titre de peintre, il ne saura jamais surmonter ce handicap. Mais il doit regagner le Canada, car le supérieur du séminaire des Missions étrangères craint, probablement avec raison, qu’« un long séjour à Paris pourroit peut être lui devenir dangereux comme à bien d’autres, et le dégoûter de s’en retourner dans son païs ».
À compter de septembre 1784, Baillairgé tient un journal dans lequel il fait état de sa vie professionnelle et familiale. À ce moment, il se définit comme peintre, sculpteur, architecte et professeur de dessin. Sans aucun doute, ses ambitions d’artiste peintre ne sont pas moindres que celles qu’il entretient dans d’autres domaines, mais il devra inévitablement réviser ses priorités.
Baillairgé est loin d’être un artiste isolé, contraint d’improviser un équipement fruste à partir des matériaux du pays ou guidé par une mentalité de terroir. Il se fait un devoir d’assimiler et de maîtriser les techniques et les méthodes de la peinture. Il dispose à peu de chose près de tous les pigments et autres produits couramment employés en Europe ou encore il est en mesure de les préparer lui-même en suivant les formules les plus récentes. Il connaît les modes d’emploi des diverses substances, grâce à la documentation qu’il possède dans sa bibliothèque personnelle.
La carrière de Baillairgé dans le domaine de la peinture religieuse s’étend essentiellement de 1784 à 1786 et de 1794 jusque vers 1806. Durant ces années, il produit une trentaine d’œuvres dont le titre ou le thème est connu. De ce nombre, une vingtaine existent toujours, dont celles qui lui sont raisonnablement attribuées. Si plusieurs s’avèrent des créations relativement originales, la plupart, en revanche, sont copiées sur des gravures et des productions plus anciennes. Baillairgé est actif également comme peintre de portraits et de miniatures, de scènes de théâtre et d’ornements (il décore des tambours, des calèches et même des logements) ; il restaure aussi plusieurs tableaux. Mais son activité dans ces domaines est subordonnée aux efforts qu’il déploie dans l’exécution des commandes qu’il reçoit des autorités ecclésiastiques.
Aucune des œuvres produites par Baillairgé de 1784 à 1786, dont le titre ou le thème est précisé dans son journal, n’a survécu. Mais il en existe une qui pourrait avoir été commandée et même terminée avant la rédaction de ces notes. Il s’agit du Martyre de saint Denis, placé au-dessus du maître-autel de l’église de Saint-Denis, sur le Richelieu. Vers la fin de novembre 1784, Baillairgé termine un deuxième tableau religieux, peut-être un saint Louis, pour l’église Saint-Louis à Kamouraska. Dans l’église Saint-Jean, à l’île d’Orléans, il peint en 1785 une toile représentant saint Jean-Baptiste dans le désert (tableau du maître-autel) et un saint Joseph (vraisemblablement une Nativité ou une sainte Famille). Une composition qu’il appelle « tableau des saints Pierre et Paul » pour l’église des Saints-Pierre-et-Paul, à Baie-Saint-Paul, est terminée le 23 septembre de la même année.
Au cours de l’exécution de ces commandes, l’optimisme et la confiance de Baillairgé sont mis à rude épreuve. L’une d’elles est annulée ; certaines œuvres doivent être reprises, d’autres occasionnent des efforts importants. Le 29 septembre 1785, Baillairgé fait paraître l’annonce suivante dans la Gazette de Québec : « Je soussigné prie Messieurs les amateurs et connoisseurs en l’art de Peindre, de vouloir bien se transporter à mon attelier, rue Ste. Anne [...] pour voir et examiner un Tableau de ma composition, représentant Saint Pierre et Saint Paul. Privé en ce païs des leçons nécessaires pour me guider en cet art, j’espère que la critique et les avis des sçavans me conduiront à la perfection où j’aspire. » Le découragement de l’artiste aurait eu finalement raison de son optimisme. Dans un dernier élan, il réalise en 1787 une toile représentant sainte Anne, pour une chapelle de la cathédrale Notre-Dame de Québec.
Quand Baillairgé remet son pinceau au service de l’Eglise en 1794, son ambition est conditionnée par les nécessités de son existence. Il accélère désormais les processus de conception et d’exécution en simplifiant ses sujets et en s’inspirant de façon systématique de gravures ou d’œuvres anciennes. Quelques toiles, toutefois, font exception à cette règle. C’est le cas de celle qui représente saint François de Sales, peinte en 1798 pour l’église Saint-François, à l’île d’Orléans, qui est généralement considérée comme son meilleur tableau. Elle a été faite à une époque où l’artiste jouissait d’une réputation d’architecte solidement établie. Il importe de considérer l’édifice représenté au fond de la toile, qui ressemble au palais de justice de Québec dont Baillairgé dessinera les plans en 1799. Le clocher du bâtiment possède des traits communs avec celui de la cathédrale, réalisé par Jean Baillairgé. Cette création prouve le talent de François et témoigne d’une intelligence et d’une habileté singulières. Baillairgé pallie la présence gênante d’un tabernacle surélevé au moyen d’une perspective à deux points de fuite, accommodant ainsi les deux angles de vue possibles. Les détails, ainsi que le coloris, sont sans reproche. Dans cette peinture, à laquelle il a consacré 30 jours et dont il est très fier, il se paie le luxe d’aller au bout de son idéal en ce domaine.
D’autres œuvres d’un intérêt moindre, réalisées au cours de la seconde partie de la carrière de Baillairgé, se distinguent par une certaine originalité qui tient surtout de la combinaison et de la révision d’emprunts. Le Sacré-Cœur et la Présentation de la Vierge, peints en 1795 pour l’église Saint-Roch-des-Aulnaies, sont de cette catégorie. La première toile, malgré son aspect rébarbatif, a ceci d’intéressant qu’elle suit de près les thèmes majeurs de la spiritualité eudiste véhiculés par l’Église canadienne depuis ses origines.
Il faut signaler la belle esquisse de l’Ange gardien, exécutée à l’aquarelle et mise au carreau en vue de la réalisation en 1802 d’une œuvre destinée à l’église Sainte-Famille, à l’île d’Orléans. De nombreuses traces révèlent le travail du dessinateur qui refait littéralement les figures dont il emprunte la pose. Le degré d’originalité des cinq peintures de la série réalisée pour l’église Sainte-Famille entre 1802 et 1806 est variable. Au moins trois sont des copies, tandis qu’une autre est le résultat de la méthode d’emprunt et d’assemblage. Ainsi les figures principales dans le Miracle de saint Pierre rappellent une composition de Dominiquin et le fond d’architecture correspond précisément à celui d’une production anonyme actuellement conservée à l’Hôtel-Dieu de Québec. Malgré ses emprunts, la Résurrection du Christ, peint en 1804 dans le cadre de la même série, est l’une des œuvres les plus ambitieuses de Baillairgé, notamment en termes de coloris. L’esquisse, mise au carreau, a survécu. Sur le revers du dessin, l’artiste a pris soin de rédiger une description des pigments et de leur mode d’application.
Tous les autres tableaux religieux de Baillairgé sont des copies. Parmi les compositions reproduites le plus souvent, on note deux versions de l’Immaculée Conception, et trois ou quatre de l’Éducation de la Vierge, d’après une œuvre de Pierre-Paul Rubens. Il convient de signaler également une pieta, d’après Annibale Carrache, pour une chapelle de la cathédrale. Baillairgé a réalisé plusieurs compositions sur des thèmes dont la source iconographique reste inconnue parce que les toiles ont disparu. C’est le cas de Saint Michel terrassant le démon, exécuté en 1795 pour l’église Saint-Louis, à Lotbinière, de Saint Ambroise absolvant l’empereur Théodose, peint en 1796 pour l’église Saint-Ambroise (à Loretteville), de Saint Jean-Baptiste dans le désert, réalisé en 1800 pour l’église Saint-Joachim, près de Québec, ainsi que de Saint Antoine, qu’il aurait peint en 1802 pour l’église Sainte-Famille.
Malgré une production relativement abondante, Baillairgé échoue dans sa tentative pour s’établir comme artiste peintre. Cet art a toujours été pour lui difficile et laborieux. Les lacunes dans sa formation et le manque de pratique l’ont empêché de progresser. Sa clientèle ecclésiastique, quant à elle, peut avoir été déçue par certaines de ses réalisations. Tout de même, l’influence de Baillairgé est indéniable en raison de sa modernité et de son rayonnement.
Baillairgé s’imposera avant tout comme sculpteur. Dès son retour de Paris, il travaille dans l’atelier paternel. Entre 1782 et 1785, il réalise des pièces de mobilier telles que le cadre d’autel, le tabernacle et la garniture d’autel de l’église Saint-Joachim. La qualité de leur exécution incite son père à lui proposer des tâches plus importantes, comme la conception du retable de l’église Notre-Dame-de-Bon-Secours, à L’Islet.
Dès ses premières expériences sculpturales, Baillairgé manifeste son originalité. Pour le tabernacle de Saint-Joachim, il substitue au vocabulaire baroque (arabesques, feuilles d’acanthes) une végétation naturaliste, autochtone, reconnaissable. Il va encore plus loin avec la conception du retable de L’Islet où, plus qu’une pièce de mobilier, il imagine une décoration intérieure, intégrée à l’architecture de l’édifice. Cet ensemble à caractère décoratif prend une dimension véritablement architecturale par le jeu des composantes qui vise à suggérer un espace plus structuré, la suite d’arcades donnant même l’illusion d’un déambulatoire. À L’Islet toujours, il exécute ses premières sculptures de grande taille : saint Modeste et saint Abondance. Ensuite, il entreprend deux tabernacles pour la paroisse Saint-Laurent, à l’île d’Orléans, qui s’inscrivent dans le prolongement de celui de Saint-Joachim, non seulement par la forme mais aussi par les éléments décoratifs. Les motifs végétaux naturalistes sont plus nombreux cependant et le couronnement, d’une grande simplicité, met davantage en valeur le tabernacle.
Le décor intérieur de la cathédrale Notre-Dame de Québec, préparé et exécuté entre 1787 et 1793, est assurément le projet le plus important de Baillairgé. Toujours en collaboration avec son père, il se charge de l’élaboration du projet et de la réalisation des parties sculptées. Merveilleusement orchestrés, les travaux vont rondement. Pendant les premiers mois, Jean Baillairgé prépare et installe les boiseries et les corniches sur lesquelles viendra s’appliquer toute la sculpture. Par la suite, François sculpte et place dans l’ordre les anges ailés devant supporter les branches du baldaquin, les ornements des piédestaux, le couronnement, la gloire surmontant le baldaquin, le trône de l’évêque, les statues qui occupent la corniche et les piédestaux, et enfin différents ornements dont le grand cadre au-dessus de l’autel. Tout cet ensemble magistral n’est connu que par la photographie, puisque la cathédrale fut incendiée en 1922. À la suite de ce grand chantier, Baillairgé se contente de réaliser les sculptures historiées des tabernacles de l’église Saint-Joseph, à Maskinongé, et de Saint-Roch-des-Aulnaies.
Pendant ce temps, Baillairgé semble s’être libéré des contraintes de la matière et avoir acquis plus de souplesse dans le maniement du ciseau. Ainsi les personnages ne sont plus sculptés dans une rigide frontalité ; les têtes sont présentées de trois quarts, le drapé et le plissé témoignent de plus de recherche et d’une qualité d’exécution supérieure, le geste lui-même a acquis une plus grande élégance. Ces statues marquent la fin d’une période dans l’évolution du style de Baillairgé. Par la suite, le caractère archaïsant sera abandonné, à cause peut-être d’un recul plus grand vis-à-vis de la production paternelle.
Bien peu de chose subsiste de la production de Baillairgé entre 1793 et 1800. On sait cependant, grâce à son journal, qu’il produit beaucoup et que sa clientèle se compose en grande partie de bourgeois de la ville et d’officiers de la garnison. Les deux seules pièces conservées, l’Assomption de la Vierge aux Éboulements et un fragment de l’ensemble de l’église Saint-Jean-Port-Joli, laissent supposer, par leur grande qualité d’exécution, que Baillairgé atteint pendant cette période sa pleine maturité sur le plan de la technique et de l’expression.
À partir de 1800, les documents se raréfient, mais les témoins des interventions de Baillairgé restent nombreux. Entre 1800 et 1815, celui-ci n’entreprend pas de grands travaux. Il exécute des tabernacles (Pointe-aux-Trembles (Neuville), 1802 ; Saint-François, à Beauceville, 1815), des autels (Pointe-aux-Trembles, 1802 ; Sainte-Anne-de-la-Pocatière, 1804 ; Saint-Jean-Port-Joli, 1804, 1817) et des chaises (Saint-Roch-des-Aulnaies, 1804 ; Saint-Ambroise, 1815–1816 ; Baie-Saint-Paul, 1816, 1817). Il sculpte, entre 1804 et 1810, deux grandes statues représentant saint Louis et saint Flavien pour la paroisse Saint-Louis, à l’île aux Coudres, et deux anges adorateurs, en bas-relief, pour la paroisse Saint-Laurent, à l’île d’Orléans (1808–1809).
En 1815, Baillairgé asssocie son fils Thomas à son entreprise. Ils vont produire trois ensembles magistraux : le baptistère de la paroisse Saint-Ambroise, le décor intérieur de l’église Saint-Joachim et le retable de l’église des Saints-Pierre-et-Paul. Seul demeure le décor de l’église Saint-Joachim où le programme décoratif est prévu non seulement pour la travée du chœur mais pour tout l’édifice. Le projet est né de la confrontation des idées de Jérôme Demers*, de Thomas et de François Baillairgé. Thomas se charge de l’ensemble des travaux alors que François exécute les parties sculptées. On peut penser que l’intervention de François se termine en 1824, année probable de la dorure des sculptures. Jusqu’en 1828, il peut donc se consacrer à la sculpture des ornements et des panneaux du retable de Baie-Saint-Paul.
Baillairgé sait utiliser les outils à sa disposition pour trouver des sources d’inspiration. L’inventaire de sa bibliothèque dressé en 1808 est éloquent à cet égard. On y découvre de nombreux traités d’architectes célèbres. Son esprit ouvert l’amène à tout considérer, tant les dessins, les gravures, les peintures que les traités d’architectes moins réputés que Jacques-François Blondel ou Vignole. Il adapte, modifie ou copie les modèles. Ainsi son cartable, conservé au Musée du Québec, contient des dessins faits à partir d’œuvres d’artistes renommés ou moins connus comme cette tête d’homme barbu, d’après un dessin de René-Michel (Michel-Ange) Slodtz ; Baillairgé pousse même la minutie jusqu’à reproduire la déchirure de l’original. Pour l’aquarelle de l’Ange gardien, conservée aussi au Musée du Québec, il s’inspire librement d’une gravure de Jean Couvay, Angelus Custos. Le Repentir de saint Pierre est un mélange d’un saint Augustin gravé par Claude Mellan en 1660 et d’un canivet du xviie siècle représentant saint Pierre repentant. Cette œuvre sera transformée par la suite en un Christ au jardin des oliviers pour orner la porte du tabernacle de la chapelle Saint-Isidore, à l’île aux Coudres. Pour le baldaquin de la cathédrale, il s’inspire largement du baldaquin de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, à Paris, dessiné par l’architecte Ocnort et réalisé par Slodtz. Enfin, de nombreux trophées exécutés à Saint-Joachim sont extraits d’un ouvrage de l’architecte français Jean-Charles de La Fosse.
Malgré ces emprunts, inévitables et de pratique courante, Baillairgé a su faire œuvre de créateur original. Par sa formation, sa culture, sa connaissance du monde, il a su renouveler le vocabulaire décoratif d’un baroque essoufflé, organiser intelligemment les espaces et ordonner les programmes iconographiques de façon intelligible. Et pendant sa longue carrière, il a marqué de son empreinte le profil de l’art religieux au Québec.
Parallèlement à ses activités de peintre et de sculpteur, Baillairgé s’illustre dans le domaine de l’architecture. S’il est vrai qu’il n’a pas laissé beaucoup de traces d’une pratique architecturale très poussée, il apparaît aujourd’hui que son œuvre est autrement plus considérable que ce que l’on imaginait il y a quelques années encore. Cela, tout simplement parce qu’une bonne part de sa production est inscrite dans l’anonymat qui domine la pratique traditionnelle où le constructeur bien plus que le concepteur est mis de l’avant. Et au delà des édifices qu’il a légués, c’est le rôle qu’il a joué dans l’évolution de cette pratique traditionnelle qui confère à Baillairgé une place de première importance dans l’histoire de l’architecture du Québec.
Lorsque Baillairgé revient à Québec en août 1781, la ville compte plusieurs constructeurs dont un seul, Jean Baillairgé, s’est élevé au rang d’architecte, notamment par son habileté à exprimer graphiquement ses projets. Par ses activités de peintre et de sculpteur, François s’impose d’emblée comme artiste, s’opposant en cela aux artisans issus d’une pratique traditionnelle dont la mémoire véhicule encore les formes héritées du Régime français. N’étant pas initié aux pratiques de la construction, c’est par son habileté à dessiner qu’il embrasse l’architecture.
Baillairgé se révèle d’abord en tant qu’architecte lorsqu’il donne les plans des décors intérieurs de l’église Notre-Dame-de-Bon-Secours et de la cathédrale Notre-Dame de Québec où il surprend par la nouveauté des formules décoratives proposées. Il arrive à les imposer par des dessins d’une haute tenue graphique et éminemment suggestifs, comme dans le cas du retable placé dans le chœur de la cathédrale. Ce plan établit la réputation de Baillairgé et le milieu fera appel à ses talents dans des circonstances bien précises. D’une part, lorsque viendra le temps de proposer des formes nouvelles qu’il faut dessiner pour les rendre explicites aux hommes de métier et, d’autre part, lorsque les formules traditionnelles s’avéreront insuffisantes pour régler un cas particulier.
Actif à une époque où l’architecture se renouvelle au contact de l’influence anglaise, Baillairgé est mis à contribution pour produire des plans destinés à exposer à la main-d’œuvre locale les traits caractéristiques de l’esthétique nouvelle qui préside à ses constructions. C’est ce qu’il fait dans le cas du palais de justice de Québec (1799), de la prison de Québec (1807) et de celle de Trois-Rivières (1815). Inspiré par l’ouvrage A book of architecture [...] de l’architecte anglais James Gibbs, que les autorités ont dû lui suggérer, Baillairgé utilise néanmoins des principes de composition qu’il emprunte à l’ouvrage le Premier Tome de l’architecture de Philibert De L’Orme, ce qui permet aujourd’hui d’affirmer qu’en cette matière, tout comme dans les autres domaines de l’art, il crée des œuvres originales, refusant le mimétisme qui caractérise la façon de faire de l’époque. Esprit curieux et inventif, Baillairgé va d’ailleurs élaborer en 1807, avec l’aide de Joseph-François Perrault*, un projet de « maison de plaisir et de détention » qui est l’utopie architecturale par excellence du Bas-Canada en ce début du xixe siècle.
Baillairgé est aussi mis à contribution dans des projets plus modestes, mais où l’on dénote une volonté de se démarquer des formules standardisées qu’offrent les constructeurs. C’est ainsi que François-Joseph Cugnet* en 1788, Alexander Fraser en 1789 et Perrault vers 1805 lui commandent des plans de maisons. Dans les trois cas, on doit supposer que, tant par leur apparence que par la distribution intérieure, ces résidences tendent à s’éloigner du savoir-faire traditionnel qui avait comme unique ressource le modèle de la maison urbaine mis au point vers 1720–1730 à Québec.
Lorsque Baillairgé est appelé à dresser les plans de la brasserie de Beauport en 1791 et ceux des loges de l’Hôpital Général en 1818, il est certain que le caractère particulier du programme architectural – un édifice industriel dans le premier cas, un lieu de réclusion pour les aliénés dans le deuxième – motive son intervention, d’autant plus que la main-d’œuvre traditionnelle s’avère incapable de mettre en forme les architectures commandées par de telles fonctions.
Essentiellement préoccupé par la forme architecturale, Baillairgé va néanmoins développer des connaissances techniques dans la pratique de la construction. C’est ainsi qu’en 1807, il prépare pour la future prison de Québec des modèles pour la construction des voûtes en pierre qui doivent garantir la solidité et la sécurité de l’édifice ; des préoccupations du même ordre l’inciteront à privilégier, en 1818, l’usage du plâtre pour la décoration des voûtes de la cathédrale, au lieu du bois généralement utilisé jusque-là dans ce type d’ouvrage.
Lorsqu’on observe enfin que Baillairgé expérimente les volumes et les modénatures de ses architectures en construisant des modèles en bois, on est bien obligé d’admettre qu’à partir des années 1805–1810 il peut revendiquer de plein droit le titre d’architecte. Il fait d’ailleurs preuve d’une remarquable polyvalence lorsque, en 1812, nommé au poste de trésorier des chemins de la ville de Québec, en remplacement de son frère Pierre-Florent*, il entreprend une série de dessins pour guider la reconstruction de plusieurs rues de la ville. Les plans destinés à la construction de la côte à Coton, datés de 1816, sont des œuvres d’art par le rendu de la topographie, tout en étant d’une rare pertinence pour guider les travaux d’excavation, de remblais et de pavage.
Baillairgé destine ses plans aux clients qui eux auront à traiter avec les constructeurs, comme l’exige le droit civil français. Dans ce sens, il ne s’introduit pas dans les milieux de la construction où aucune place n’est d’ailleurs prévue pour un concepteur, à l’époque. C’est le constructeur qui, dirigeant les opérations du chantier, revendique le plus souvent le titre d’architecte et utilise très librement les plans qui lui sont fournis, lorsqu’il y en a. Tout en étant situé à l’extérieur de la pratique de la construction, Baillairgé va néanmoins tenter de l’influencer. Ainsi lorsqu’il livre à Mgr Joseph-Octave Plessis les plans de la chapelle des Congréganistes de la rue d’Auteuil, en 1818, il propose un parti architectural franchement neuf. Amputé par l’évêque, le projet le sera encore plus par le maître maçon Pierre Giroux qui tente de le réduire à son savoir-faire. La présence du dessin et le débat qu’il suscite entre l’évêque et le constructeur permettent néanmoins d’assurer un certain progrès (élévation de la façade, forme du clocher, emplacement et disposition intérieure de la sacristie). À Saint-Roch, en 1811, et probablement à Saint-Augustin, en 1816, le rôle de l’architecte est du même ordre ; il oppose aux modèles traditionnels des schémas nouveaux qui aboutissent à une synthèse entre la permanence et l’innovation.
Dans ce contexte, on comprend que Baillairgé ne signe pas ses plans : personne n’est prêt à reconnaître à l’auteur d’un dessin la paternité d’une construction, surtout que l’édifice terminé est loin de ressembler à ce dessin, sauf dans de rares cas. Cette pratique permet évidemment aux constructeurs d’utiliser à leur guise ces documents anonymes. Dès lors, plusieurs maisons et églises qui révèlent les préoccupations de Baillairgé ne peuvent que lui être attribuées, faute de preuves circonstancielles précises. Et qui plus est, leur nombre peut s’avérer fort imposant, car il est bien évident que le goût de la nouveauté et la recherche de perfectionnement ont tôt fait de mettre en évidence les œuvres de cet architecte – d’ailleurs le seul à Québec jusque vers 1820, si l’on excepte les ingénieurs militaires britanniques – au point d’en faire des modèles pour la main-d’œuvre traditionnelle.
Si les édifices de Baillairgé qui ont survécu, telles la prison de Québec, celle de Trois-Rivières et sa maison sise rue Saint-François (rue Ferland), sont des monuments tout à fait importants, les nombreux plans qu’il a dressés le sont tout autant. Ils révèlent, en effet, l’art de l’architecte qui a fortement influé sur le renouvellement des formes et des pratiques traditionnelles. Et comme ce renouvellement a pris appui sur l’héritage traditionnel, on est en quelque sorte redevable à Baillairgé d’avoir garanti la permanence d’une architecture québécoise, en établissant la preuve de sa capacité d’évolution au contact d’idées nouvelles, au delà des années 1820–1830. À ce moment-là, de nombreux architectes venus d’Angleterre tenteront d’implanter leur esthétique et leur type de pratique architecturale. Mais déjà à cette époque, c’est son fils Thomas qui a pris la relève, celui dont l’œuvre entière sera consacrée à articuler et à appliquer les modalités de la pratique architecturale définies par son père à l’aube du xixe siècle.
François Baillairgé meurt à Québec le 15 septembre 1830. Il est inhumé le lendemain en présence de l’orfèvre Laurent Amiot*, du peintre Joseph Légaré* et d’autres. En tant que peintre, sculpteur et architecte, il fut une figure dominante du début du xixe siècle. L’ensemble de sa production recèle sans contredit les chefs-d’œuvre de l’art ancien du Québec.
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David Karel, Luc Noppen et Magella Paradis, « BAILLAIRGÉ, FRANÇOIS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 2 oct. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/baillairge_francois_6F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/baillairge_francois_6F.html |
Auteur de l'article: | David Karel, Luc Noppen et Magella Paradis |
Titre de l'article: | BAILLAIRGÉ, FRANÇOIS |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1987 |
Année de la révision: | 1987 |
Date de consultation: | 2 oct. 2024 |