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CUVILLIER, AUSTIN (baptisé Augustin et d’abord connu sous ce nom), homme d’affaires, officier de milice, homme politique et juge de paix, né le 20 août 1779 à Québec, fils d’Augustin Cuvillier et d’Angélique Miot, dit Girard ; le 7 novembre 1802, il épousa à Montréal Marie-Claire Perrault, et ils eurent sept enfants ; décédé le 11 juillet 1849 dans la même ville.
Augustin Cuvillier passa son enfance au pied du cap Diamant, à Québec, dans la petite rue Sous-le-Fort, où habitaient de modestes détaillants et des navigateurs. Son père y tenait un magasin qu’il transforma apparemment en boulangerie au printemps de 1785. Il mourut subitement en 1789, à l’âge de 33 ans, ce qui imposa à Augustin, l’aîné des sept enfants, des responsabilités plutôt lourdes pour son âge. Quoi qu’il en soit, en 1794, le jeune garçon, dont le père avait été un homme cultivé et préoccupé d’éducation, était inscrit au collège Saint-Raphaël de Montréal. Il ne semble toutefois pas avoir terminé ses études.
Cuvillier entra ensuite chez un riche encanteur de Montréal, Henry Richard Symes. Associé commanditaire à la fin du siècle, il assuma la direction de l’affaire en mai 1802, car Symes prenait sa retraite. Par la suite, il s’associa à Thomas Aylwin pour former la Cuvillier and Aylwin, puis à Aylwin et à John Harkness pour fonder la Cuvillier, Aylwin, and Harkness à Montréal et la Aylwin, Harkness and Company à Québec. La deuxième de ces entreprises, qui faisait de la vente à l’encan et du commerce général, fut cédée à ses créanciers en octobre 1806. Elle avait alors près de £14 000 de dettes mais un actif de plus de £18 000 ; ses plus gros créanciers étaient James Dunlop*, marchand montréalais, et l’Inglis, Ellice and Company, maison d’approvisionnement londonienne. En dépit de cette faillite, la vente à l’encan, qui consistait à acheter en gros des marchandises sèches d’importation et à les vendre en lots importants à des acheteurs locaux, allait continuer d’occuper une place centrale dans la carrière commerciale de Cuvillier. En la pratiquant, il se familiarisa avec les marchés intérieurs et étrangers, se fit un réseau de relations, apprit à connaître les banques et les finances et se tailla une réputation dans le monde du commerce entre la colonie et la Grande-Bretagne. Le fait qu’il évoluait dans ce milieu dominé par les Britanniques explique pourquoi, à compter du début des années 1800, d’abord dans les milieux anglophones puis aussi chez les francophones, il se fit de plus en plus appeler Austin, forme abrégée et anglicisée de son nom de baptême.
En 1807, Cuvillier, remis de son échec, avait des salles de ventes rue Notre-Dame, à côté d’un magasin qu’occupait James McGill*. Ses affaires prirent de l’expansion (du moins acheta-t-il des propriétés), mais les difficultés financières continuèrent de l’assaillir. Ses propriétés, dont deux maisons et un magasin de trois étages rue Notre-Dame, firent l’objet de saisies judiciaires à cause de poursuites intentées par le marchand James Finlay (1808), le docteur Jacques Dénéchaud* (1810) et Dunlop (1813). En avril 1811, il forma sous le nom de sa femme une compagnie, la Mary C. Cuvillier and Company (plus communément appelée M. C. Cuvillier and Company), qu’il utilisa peut-être comme façade pour ses propres activités.
Pendant la guerre de 1812, Cuvillier servit dans le 5e bataillon de la milice d’élite incorporée du Bas-Canada – surnommé le « Devil’s Own » – d’abord à titre de lieutenant et d’adjudant. Entré dans la clandestinité afin de retrouver les déserteurs de la milice, il se distingua en juin 1813 en obtenant des renseignements sur les forces américaines postées dans la région de la rivière Salmon, le long de la frontière new-yorkaise, où il était bien connu comme marchand. En avril 1814, il était capitaine au sein des Chasseurs canadiens ; il démissionna cependant le même mois après qu’on eut confié le commandement de l’unité à un officier qui n’en faisait pas partie. En récompense des services rendus pendant le conflit, il reçut une médaille ornée de l’agrafe de Châteauguay et, plus tard, 800 acres de terre dans le canton de Litchfield. Il devint finalement capitaine surnuméraire puis commanda une compagnie à partir d’octobre 1820. Après la guerre, en mars 1815, le shérif avait de nouveau saisi ses propriétés. Une nuit de la fin de juin 1816, tandis qu’il se promenait devant son magasin, il aperçut deux voleurs à l’intérieur. Il obéit alors à son naturel combatif et s’agrippa à la porte qui donnait sur la rue ; il les tint enfermés, malgré leurs menaces de violence, jusqu’à ce qu’un voisin, Joseph Masson, vienne à son secours. Finalement, des soldats arrêtèrent les malfaiteurs.
Entre-temps, Cuvillier était devenu l’un des rares hommes d’affaires canadiens à entrer sur la scène politique. Défait dans la circonscription de Huntingdon en 1809, il avait remporté la victoire lors d’une deuxième tentative en 1814. Bien vite, il devint une étoile montante du parti canadien, d’obédience nationaliste, qui dominait l’Assemblée et jugeait sa connaissance de l’économie coloniale indispensable dans les luttes que les députés menaient pour avoir la haute main sur les finances gouvernementales.
Le milieu des affaires trouvait Cuvillier tout aussi utile. Sa présence aux conseils du parti canadien tempérait l’hostilité naturelle de ce groupe envers les commerçants. De plus, c’est lui qui, à l’Assemblée, fut l’instigateur de la création d’une banque coloniale quand, après la guerre, le remboursement des billets de l’armée menaça encore une fois d’épuiser les réserves de papier-monnaie de la colonie ou de trop l’appauvrir en numéraire [V. James Green*]. En février 1815, il proposa que l’Assemblée étudie la possibilité de fonder une banque ; sa résolution fit l’objet d’un débat, mais on ne prit aucune mesure. Dans les deux années suivantes, ses efforts furent plus fructueux, mais les prorogations de l’Assemblée les empêchèrent d’aboutir. Finalement, las d’attendre, les partisans de Cuvillier dans le milieu des affaires montréalais, sous la direction de John Richardson*, fondèrent en mai 1817 un établissement privé, la Banque de Montréal. Cuvillier entra au conseil d’administration et fit partie de comités d’importance stratégique. Au début de 1818, il parvint à faire adopter par l’Assemblée un projet de loi de constitution juridique, mais le gouverneur sir John Coape Sherbrooke* le mit de côté pour le soumettre à la sanction royale, qui ne fut pas accordée. Tout le processus recommença au début de 1821 ; enfin, à l’été de 1822, la banque obtint sa charte. En septembre 1818, Cuvillier avait aussi fondé, avec huit autres actionnaires, la Compagnie d’assurance de Montréal contre les accidents du feu ; dès 1820, il en était président.
En 1817, Cuvillier avait réalisé un coup d’éclat politique en déclarant à l’Assemblée que le juge Louis-Charles Foucher, qui venait de statuer contre lui dans un litige commercial, avait agi avec partialité et se trouvait en conflit d’intérêts. Le parti canadien, qui avait résolu de harceler systématiquement les fonctionnaires administratifs et judiciaires, avait un peu plus tôt mis en accusation les juges en chef Jonathan Sewell et James Monk*, sans toutefois obtenir leur destitution. Il mit donc Foucher en accusation à son tour ; cependant, l’évaluation des charges s’embourba dans des subtilités politiques [V. Herman Witsius Ryland]. En 1820, Cuvillier proposa d’adopter une loi en faveur de la rémunération des députés afin d’ouvrir la porte à d’autres candidats que ceux des professions libérales ; sa motion fut défaite, notamment parce que Louis-Joseph Papineau* la trouvait trop démocratique.
À l’occasion des grands débats concernant la mainmise sur les finances coloniales, Cuvillier examina à la loupe les comptes de l’exécutif et fournit chiffres et analyses financières. De leur côté, Papineau et John Neilson exposaient les principes du parti. En 1821, l’Assemblée nomma Cuvillier au nombre des quatre commissaires qui devaient entreprendre, avec les délégués du Haut-Canada, de difficiles négociations sur la répartition des droits de douane entre les deux colonies. Deux ans plus tard, il présida le comité de l’Assemblée qui fit enquête sur le détournement de fonds commis par le receveur général John Caldwell. Tout au long des années 1820 et même après, Cuvillier et Neilson incitèrent l’Assemblée à prendre ses responsabilités en matière fiscale et dénoncèrent ce qu’ils considéraient comme une erreur de sa part : la tendance à affecter des crédits excessifs aux dépenses non administratives, les travaux publics par exemple.
En 1822 et 1823, Cuvillier participa énergiquement à la campagne du parti canadien contre un projet d’union du Bas et du Haut-Canada. Joseph Masson, qui militait lui aussi contre l’union, nota à l’époque que Cuvillier et lui-même bénéficiaient de leur affiliation au parti canadien car nombre de détaillants canadiens préféraient attendre des marchandises d’eux plutôt que de faire affaire avec un grossiste britannique. La vente à l’encan n’en demeurait pas moins une activité précaire, et l’association de Cuvillier avec un certain Jacques Cartier, probablement de la vallée du Richelieu, donna de mauvais résultats à l’été de 1822. Il fallut dissoudre cette société au début de l’année suivante, parce qu’elle n’était pas en mesure d’honorer les gros billets qu’elle avait signés à l’ordre de la Banque de Montréal. Cuvillier retomba encore une fois sur ses pattes, mais la crise commerciale de 1825–1826 le remit dans une situation pénible. À ce moment, il rompit rageusement avec la Banque de Montréal à cause des pratiques de crédit de son président, Samuel Gerrard* ; il réussit toutefois à survivre à la crise.
Les difficultés financières de Cuvillier l’obligeaient parfois à s’absenter de la chambre, mais elles n’entamèrent pas son prestige. En 1824 et 1825, pendant que le gouverneur lord Dalhousie [Ramsay] était en Grande-Bretagne, le lieutenant-gouverneur sir Francis Nathaniel Burton* le courtisa assidûment, et fit de même avec Neilson et Denis-Benjamin Viger*. C’est Cuvillier qui présidait le comité du budget de l’Assemblée lorsque celle-ci, parvenue à un compromis avec Burton, conçut un projet de loi sur les subsides qui allait inspirer ses revendications futures. Une fois Dalhousie revenu, Cuvillier réagit avec vigueur à ses politiques provocatrices et, en novembre 1827, lorsque le gouverneur refusa d’entériner l’élection de Papineau au poste de président de l’Assemblée, c’est lui, « l’encanteur failli », comme Dalhousie le surnommait dédaigneusement, qui présenta la motion par laquelle la chambre dénonça ce geste. Des comités nationalistes contre-attaquèrent au début de 1828 en déléguant Cuvillier, Neilson et Viger à Londres avec mission d’aller porter de volumineuses pétitions contre l’administration de Dalhousie. Informé de sa désignation quelques heures à peine avant le départ du navire, Cuvillier, en toute hâte, confia sa famille et ses affaires à Masson.
Les délégués arrivèrent à Londres le 12 mars 1828. Comme la grande majorité des visiteurs bas-canadiens, de toutes allégeances politiques, qui l’avaient précédé, Cuvillier fut consterné de voir à quel point les autorités ignoraient les problèmes de la colonie et y, étaient indifférentes. Pire encore, le secrétaire d’État aux Colonies, William Huskisson, sembla d’abord hostile. Toutefois, Cuvillier fut bientôt rassuré par ses discussions avec des personnages politiques et commerciaux d’Angleterre. Il informa Masson que l’opinion publique anglaise, à laquelle le gouvernement était très sensible, penchait du côté des Canadiens. À Hugues Heney, influent nationaliste canadien, il écrivit (en anglais) : « Ici, la grande masse du peuple éprouve pour le despotisme une aversion naturelle qui nous protégera de l’ambition d’un ministre [...] Une fois que la liberté a pris racine, elle croît en dépit de tout obstacle et, en Amérique, aucun pouvoir sur terre ne saurait l’arracher. » En juin, à l’occasion de l’enquête officielle d’un comité de la chambre des Communes (habituellement appelé comité du Canada), Cuvillier témoigna longuement sur les questions économiques et politiques les plus controversées de la colonie. Il défendit le maintien du régime seigneurial et du droit français traditionnel et se prononça pour un Conseil législatif et un appareil judiciaire indépendants de l’exécutif et du peuple. Par contre, il exprima son opposition à l’établissement d’une aristocratie coloniale et à toute modification qui toucherait ce qu’il appelait le « pacte » constitutionnel de 1791 sans l’accord des deux parties prenantes, la Grande-Bretagne et la colonie. En attendant le rapport du comité, il se rendit visiter Paris, où « l’état de la moralité [était] déplorable et la religion, évidemment, dans la pire situation imaginable ».
Le rapport du comité s’avéra favorable à la plupart des revendications des délégués et donna tout à fait raison à Cuvillier sur les questions financières. Une fois de retour au Bas-Canada, il espéra que son succès lui mériterait le poste de représentant de la colonie à Londres, « centre nerveux du monde », qu’il considérait désormais comme un paradis pour les hommes d’affaires. Cependant, comme on avait apparemment tranché la question financière en faveur de l’Assemblée, Papineau orienta le parti patriote (nouveau nom du parti canadien depuis 1826) vers des objectifs plus strictement politiques, comme l’obtention d’un Conseil législatif électif. Dans les circonstances, il préférait Viger à titre de représentant. Au début de 1829, à la suite d’un affrontement avec Papineau sur cette question, Cuvillier commença à s’éloigner du parti. Puis le fossé ne fit que s’élargir : plus tard cette année-là et dans les premiers mois de 1830, Cuvillier défendit la Banque de Montréal et sa charte (par moments avec une maladresse étonnante chez lui) face au ressentiment croissant que la population exprimait envers cet établissement et face aux vigoureuses attaques que Papineau et son parti lançaient contre lui. Cependant, en mars 1830, Papineau nota nerveusement qu’un groupe de députés admiratifs se rassemblait autour de Cuvillier.
Cuvillier remporta la victoire dans la circonscription de Laprairie au scrutin de 1830. Quand le gouverneur lord Aylmer [Whitworth-Aylmer], en janvier 1831, dut inaugurer la législature de son lit de malade, Cuvillier fut le seul représentant de l’Assemblée, avec Papineau (à titre de président) et Louis Bourdages*, qu’on invita à cette brève cérémonie. Pourtant, le mois suivant, le patriote Louis-Michel Viger* remarquait : « Cuvillier se fait toiser tous les jours. Je crois qu’il perd dans l’opinion des Membres. » En mars, l’Assemblée choisit enfin son représentant auprès de Londres, en l’occurrence Denis-Benjamin Viger ; Papineau nota avec soulagement que seuls les députés des Cantons-de-l’Est et quatre ou cinq Canadiens avaient voté en faveur de Cuvillier. Celui-ci défia de nouveau le parti patriote plus tard dans l’année en affirmant que le bureau provincial de vérification que l’on se proposait de créer devrait être composé de vérificateurs permanents plutôt que de titulaires nommés pour des raisons politiques. À la fin de 1831, avec Neilson, Dominique Mondelet* et d’autres modérés, il s’opposa au projet de loi sur les fabriques qu’avait présenté Bourdages au nom du parti patriote.
Même hors de l’Assemblée, Cuvillier et les patriotes ne coopéraient plus. Au début de 1832, un groupe de nationalistes dirigé par Édouard-Raymond Fabre* se réunit pour fonder une entreprise nationale de vente en gros, la Maison canadienne de commerce ; Cuvillier brillait par son absence. À l’occasion d’une chaude élection partielle dans Montréal, au printemps, il soutint énergiquement le candidat gouvernemental, Stanley Bagg : les électeurs, disait-il, devaient élargir la représentativité de l’Assemblée en accordant leur suffrage à un marchand plutôt qu’au candidat patriote Daniel Tracey*. Après la bagarre qui avait éclaté au bureau de scrutin, Cuvillier, juge de paix depuis 1830, fut l’un des magistrats à qui d’aucuns reprochèrent d’avoir ordonné aux soldats de tirer sur la foule et d’avoir ainsi causé la mort de trois Canadiens. Papineau attisa la colère populaire et Cuvillier se vit traité de « bureaucrate » par les partisans des patriotes.
En 1833, à l’Assemblée, Cuvillier dénonça les revendications du parti patriote en faveur d’un Conseil législatif électif. L’année suivante, seuls lui et cinq autres Canadiens refusèrent d’appuyer les Quatre-vingt-douze Résolutions, qui allaient devenir le programme électoral des patriotes. Toujours en 1834, les adversaires des patriotes formèrent une association constitutionnelle à Montréal. À la première réunion, Cuvillier présenta une motion pour « le maintien du lien existant entre le Royaume-Uni et [la] province ». Une chanson patriote populaire à l’époque, C’est la faute à Papineau, l’accusait d’être un vendu. Papineau était dès lors déterminé à avoir sa tête. Cuvillier quitta la politique aux élections de 1834, après avoir siégé durant 20 ans à l’Assemblée. Sa défaite fut d’autant plus dure qu’il comprit que ses victoires précédentes étaient dues beaucoup plus à la machine électorale de Papineau qu’à ses propres qualités.
Fait significatif, les conflits de Cuvillier avec le parti patriote avaient pris naissance au moment même où sa situation commerciale s’améliorait. Il était devenu le plus grand encanteur de Montréal, notamment en produits manufacturés d’importation, poisson, sel, spiritueux et stocks de marchands faillis. En 1836, il fit de coûteuses rénovations à son magasin, rue Saint-Paul. À titre de représentant, de syndic et d’agent de change, il vendait des actions de diverses banques canadiennes. En 1836, il entra au conseil d’administration de la Banque de l’Amérique septentrionale britannique, établissement colonial fondé la même année et sis à Londres. Au cours des années 1830, il commença également à faire affaire dans le Haut-Canada. Son importance à Montréal était devenue telle qu’il présida le Committee of Trade de la ville de 1837 à 1841 et fit partie du groupe qui, en 1841–1842, le fit constituer juridiquement sous le nom de Bureau de commerce de Montréal.
Durant la rébellion de 1837, Cuvillier fut major et commandant du 5e bataillon de milice de la ville de Montréal. En novembre 1837, lui-même et Turton Penn signèrent en qualité de magistrats la réquisition d’aide militaire qui autorisa les troupes britanniques à marcher sur Saint-Denis, place forte des rebelles. En janvier 1838, il devint l’un des fondateurs et le vice-président (sous Pierre de Rastel de Rocheblave) de l’Association loyale canadienne du district de Montréal, qui dénonçait tant les chefs de la rébellion que les partisans de l’union du Bas et du Haut-Canada et qui incitait à poursuivre la réforme politique « en la conformant surtout à l’esprit qui [avait guidé] la Constitution de 1791 ». Avec l’approbation du commandant et administrateur des troupes, sir John Colborne*, Cuvillier émit du papier-monnaie pour pallier la suspension des paiements en numéraire aux soldats pendant la rébellion ; on remboursa le papier-monnaie après sa suppression. Cuvillier connut une période très difficile en 1837–1838 après que la faillite d’un marchand montréalais lui eut coûté £3 000 et eut provoqué une ruée sur ses billets. Les patriotes espéraient non sans malveillance le voir subir une autre faillite humiliante, mais apparemment ils furent déçus.
Par suite de la parution du rapport de lord Durham [Lambton] sur la situation canadienne, en 1839, Cuvillier s’associa à Neilson et à Denis-Benjamin Viger pour s’opposer à l’Union et, en 1841, aux premières élections du Canada-Uni, on l’élut dans Huntingdon avec un programme antiunioniste. Le chef des forces réformistes bas-canadiennes en chambre était l’ancien patriote Louis-Hippolyte La Fontaine*, qui lui en voulait encore de s’être opposé aux Quatre-vingt-douze Résolutions. Toutefois, dans l’espoir de gagner les députés du groupe Neilson-Viger à sa stratégie de survie des Canadiens sous l’Union, La Fontaine se laissa convaincre à regret par le réformiste haut-canadien Francis Hincks* que Cuvillier serait un meilleur candidat à la présidence de l’Assemblée que des réformistes plus radicaux. En effet, Cuvillier pouvait rallier les tories car il parlait couramment l’anglais et avait de nombreuses relations commerciales dans les deux parties de la province unie. De plus, son élection serait une victoire rassurante pour les Canadiens puisqu’il s’était opposé à l’Union, à la liste civile, à une représentation égale pour les deux colonies (le Bas-Canada étant plus populeux) et à l’interdiction du français au Parlement. Il accéda bel et bien à la présidence.
À titre de président, Cuvillier noua des relations extrêmement cordiales avec les gouverneurs qui se succédèrent dans la province. En 1844, il appuya le gouverneur Charles Theophilus Metcalfe contre La Fontaine et Robert Baldwin*, qui tentaient d’avoir la haute main sur les nominations dans l’administration publique. Cet appui lui coûta le siège de Huntingdon aux élections de la même année, et il fut défait également par les forces de La Fontaine dans Rimouski. À 65 ans, Cuvillier voyait sa carrière politique se terminer. Il retourna à son entreprise de vente à l’encan, qui s’appelait alors la Cuvillier and Sons et comptait parmi ses clients le séminaire de Saint-Sulpice. En 1845, le séminaire mit aux enchères ses terres domaniales les plus proches de Montréal ; Cuvillier lui-même figura au nombre des plus gros acheteurs et y déboursa £3 220. Quatre ans plus tard, il contracta le typhus ; décédé le 11 juillet 1849, il fut inhumé le lendemain à l’église Notre-Dame.
Austin Cuvillier fut pendant quelque temps un personnage exceptionnel dans les annales du Bas-Canada. Selon les historiens, le conflit entre la communauté des marchands britanniques et les nationalistes du parti canadien (puis patriote) fut un facteur important de la rébellion de 1837–1838. Or, de 1814 à 1828, Cuvillier fut en mesure de concilier les intérêts antagonistes de ces deux groupes. Mais lorsque le parti patriote commença à se radicaliser, à la fin des années 1820, Cuvillier devint représentatif des nationalistes canadiens qui quittèrent le parti, alarmés, ou en furent exclus comme traîtres, tels Heney, Frédéric-Auguste Quesnel*, Pierre-Dominique Debartzch, Joseph-Rémi Vallières de Saint-Réal ainsi que Jean-Marie Mondelet et ses fils Dominique et Charles-Elzéar*. Après leur départ, les chefs radicaux des patriotes allaient inexorablement précipiter le mouvement réformiste sur la voie du désastre.
Un portrait d’Austin Cuvillier peint par Théophile Hamel* se trouve dans le corridor des présidents de la chambre des Communes à Ottawa ; les APC possèdent une photographie de ce tableau. Un autre portrait, au château Ramezay à Montréal, a été reproduit dans E. K. Senior, Redcoats and Patriotes : the rebellions in Lower Canada, 1837–38 (Stittsville, Ontario, 1985).
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Jacques Monet et Gerald J. J. Tulchinsky, « CUVILLIER, AUSTIN (baptisé Augustin) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 2 oct. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/cuvillier_austin_7F.html.
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Auteur de l'article: | Jacques Monet et Gerald J. J. Tulchinsky |
Titre de l'article: | CUVILLIER, AUSTIN (baptisé Augustin) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1988 |
Année de la révision: | 1988 |
Date de consultation: | 2 oct. 2024 |