TANNER, JOHN, chasseur, guide et narrateur, né vers 1780 sur les bords de la rivière Kentucky, fils de John Tanner ; il se maria au moins trois fois et eut au moins six enfants ; décédé en 1846 ou après.

John Tanner était le fils d’un ancien prédicateur de Virginie établi dans la région de la rivière Kentucky. Après la mort de sa mère, il avait alors deux ans, sa famille s’installa à Elk Horn (Elkhorn City, Kentucky), puis au confluent de l’Ohio et du Grand Miami, où son père se fixa dans une ferme. C’est là qu’en 1789 des Chaouanons enlevèrent John. Nommé Shaw-shaw-wa-ne-ba-se (« faucon »), il fut par la suite adopté par une famille indienne. Peu après, une vieille Outaouaise appelée Net-no-kwa l’acheta et l’emmena vivre d’abord à la baie Saginaw (Michigan) puis, quand il eut 13 ans, dans la région de la rivière Rouge, d’où venait son mari, un Sauteux.

Tanner a raconté avec pittoresque, dans A narrative of the captivity and adventures of John Tanner [...], comment il s’était adapté à une culture radicalement différente de celle dans laquelle il avait grandi. Enfant, il avait compris à la fois qu’il n’avait aucune chance d’échapper aux Indiens et qu’il était bien mal préparé à survivre parmi eux. Peuple nomade, les Sauteux vivaient encore de chasse et de piégeage dans les forêts nordiques, conformément à leurs traditions ; à l’occasion, ils traquaient aussi le bison dans les Prairies. À l’époque où Tanner se retrouva parmi eux, leurs contacts avec des trafiquants blancs, l’utilisation des armes à feu et la consommation d’alcool étaient en train de changer leur mode de vie : ils abandonnaient la chasse comme moyen de subsistance et commençaient à amasser des fourrures pour en tirer des profits. Cependant, leur structure sociale demeurait fondamentalement la même ; Tanner l’observa et la décrivit avec force détails, de sorte que son récit présente un tableau remarquable de leur culture matérielle. Par contre, il est peu loquace sur leur vie spirituelle : ainsi il ne parle jamais de la grande société chamaniste du Midewiwin, dont les complexes cérémonies d’initiation étaient pourtant les moments les plus forts de l’année tribale. Tanner était-il exclu de l’initiation parce qu’il était de race blanche ? Ou se sentait-il tenu au silence par l’initiation ? Son ouvrage n’éclaircit pas ce mystère.

Protégé, par sa mère adoptive, des brutales manifestations d’impatience des hommes de la tribu, Tanner finit par devenir un chasseur et un trappeur aussi habile qu’eux. Pendant longtemps, semble-t-il, il se résigna à partager leur existence. Dans son récit, il oppose l’honnêteté des Indiens à la rapacité des trafiquants de fourrures. Il apprit à parler leurs langues et oublia presque la sienne, à tel point, nota-t-il plus tard, qu’il ne pouvait plus « parler un anglais compréhensible ».

Tanner se maria pour la première fois en 1800, à la manière indienne, c’est-à-dire sans engagement irrévocable. Sa femme, Mis-kwa-bun-o-kwa, le quitta environ sept ans plus tard ; pour céder aux pressions de la communauté, il se remaria vers 1810. Bientôt, il trouva trop lourdes les exigences de sa nouvelle belle-famille, si bien qu’en 1812 il cherchait un moyen de retrouver le milieu auquel les Chaouanons l’avaient arraché 20 ans plus tôt. Mais la guerre de 1812 interdisait tout déplacement, et il dut donc demeurer dans la région de la rivière Rouge. À l’arrivée des colons de lord Selkirk [Douglas*], pendant l’été de 1812, il chassa le bison afin de leur assurer de la nourriture pour l’hiver. Puis lorsque Cuthbert Grant*, de la North West Company, tenta de persuader les Indiens de se joindre à lui et à ses partisans métis pour attaquer les hommes de la Hudson’s Bay Company, il refusa de se ranger dans l’un ou l’autre camp. Toutefois, après que les hommes de Selkirk eurent pris possession du fort William (Thunder Bay, Ontario), en 1816, Tanner les conduisit du lac des Bois au fort Douglas (Winnipeg) et les aida à l’arracher aux Nor’Westers. Une fois arrivé dans la colonie de la Rivière-Rouge, Selkirk s’intéressa au cas de Tanner, lui donna une modeste pension et expédia une lettre dans l’espoir d’établir un contact avec sa famille au Kentucky.

Sans attendre de réponse, Tanner quitta le lac des Bois en 1817 ; il s’arrêta à Detroit où son frère était venu à sa rencontre, et rejoignit sa famille. Retourné au lac des Bois vers 1818, il persuada sa deuxième femme et leurs trois enfants de se mettre en route avec lui au printemps suivant, mais elle resta à Michillimakinac (Mackinac Island, Michigan) et l’un des enfants mourut sur le chemin du Kentucky. Tanner ne revit sa terre natale qu’en 1819 et constata que depuis longtemps il n’était plus fait pour l’existence bien réglée d’une communauté agricole. En 1823, il retourna dans le Nord-Ouest afin de réclamer la garde des enfants de son précédent mariage. Sa première femme, qu’il rejoignit au lac à la Pluie (lac Rainy, Ontario), refusa de les lui laisser et convainquit un Indien de recourir à la magie pour le tuer (en lui tirant une balle percée d’un tendon de cerf teint en vert). Tanner survécut grâce aux soins du docteur John McLoughlin*, mais sa première femme disparut avec les enfants.

Tanner n’essaya plus de retourner dans le Kentucky. En 1824, il se rendit à Michillimakinac, où il travailla à titre d’interprète pour l’agent américain des Affaires indiennes et, pendant 15 mois, au service de l’American Fur Company. Sa deuxième femme vécut avec lui quelque temps mais ne le suivit pas lorsque, en 1828, il s’établit à Sault-Sainte-Marie (Sault Ste Marie, Michigan). Il y fut interprète pour l’agent des Affaires indiennes de l’endroit, Henry Rowe Schoolcraft. C’est vers cette époque que Tanner rencontra Edwin James, chirurgien de l’armée américaine, qui nota patiemment ses souvenirs et les fit publier à New York en 1830 avec une section de son cru sur la vie des Indiens et leurs langues. Selon Schoolcraft, dont le témoignage était peut-être partial, Tanner menaça James de violence pour l’avoir fait paraître ridicule, mais à vrai dire Narrative semble relater honnêtement son expérience d’immersion dans une culture étrangère.

Congédié par Schoolcraft en 1830, John Tanner. connut pendant la décennie qui suivit un deuxième choc culturel : l’adaptation à un milieu américain, qu’il trouva aussi pénible que sa transformation en petit Indien à l’âge de neuf ans. Apparemment, il se mêla de la querelle que se livraient Schoolcraft et le révérend Abel Bingham pour diriger l’école de la mission de Sault-Sainte-Marie. Au début de 1840, selon toute vraisemblance, il épousa puis perdit une Blanche qui ne pouvait accepter son mode de vie. Les gens de Sault-Sainte-Marie le jugeaient, non sans émoi, de plus en plus méfiant et paranoïaque, sujet à des emportements violents et méprisant à l’endroit des pratiques chrétiennes. Cette animosité mutuelle éclata en 1846, à l’occasion du meurtre de James Schoolcraft, frère de Henry, que Tanner accusait de lui avoir escroqué de l’argent. Tanner disparut au même moment, ce qui fit conclure à sa culpabilité. Personne ne devait le revoir vivant ; on crut qu’un cadavre découvert quelques années plus tard dans un marécage voisin de Sault-Sainte-Marie était le sien, mais l’identification ne fut pas concluante. La culpabilité de Tanner n’était pas certaine non plus : le soupçon pesait aussi sur un officier, le lieutenant Bryant Tilden, qui aurait fait une confession sur son lit de mort. De part et d’autre, les preuves étaient insuffisantes.

George Woodcock

Les mémoires de John Tanner ont été publiés sous le titre de A narrative of the captivity and adventures of John Tanner, (U.S. interpreter at the Saut de Ste. Marie,) during thirty years residence among the Indians in the interior of North America, Edwin James, édit. (New York, 1830 ; réimpr. avec introd. de N. M. Loomis, Minneapolis, Minn., 1956). L’ouvrage fut traduit par la suite en français et en allemand. Le récit de Tanner a été repris dans une version abrégée éditée par James Macaulay sous le titre de Grey Hawk : life and adventures among the Red Indians (Londres, 1883).

HBRS, 19 (Rich et Johnson).— J. E. Bayliss et al., River of destiny, the Saint Marys (Detroit, 1955).— J. T. Fierst, « Return to « civilization »» : John Tanner’s troubled years at Sault Ste Marie », Minn. Hist. (St Paul), 50 (1986) : 23–36.— G. L. Nute, « Border chieftain », Beaver, outfit 282 (mars 1952) : 35–39.

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George Woodcock, « TANNER, JOHN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 10 oct. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/tanner_john_7F.html.

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Auteur de l'article:    George Woodcock
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1988
Année de la révision:    1988
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