WINTON, HENRY DAVID, imprimeur, libraire, éditeur et rédacteur en chef, né le 10 juin 1793 dans la paroisse de Withecombe Raleigh, Exmouth, Angleterre, cinquième fils du révérend Robert Winton et d’une prénommée Teresa Maria ; le 3 septembre 1816, il épousa Elizabeth Luttrell Nicholson, et ils eurent quatre fils et deux filles ; décédé le 6 janvier 1855 à St John’s.

Henry David Winton fut apprenti chez un imprimeur et relieur à Dartmouth, en Angleterre. Une fois son apprentissage terminé, il se rendit à Londres où il exerça ces métiers. Il arriva à Terre-Neuve le 28 août 1818 et, en septembre, se donnant lui-même les titres de « papetier, libraire et relieur », il annonça qu’il avait ouvert à St John’s un « entrepôt de papeterie » pour la vente en gros et au détail. Tout au long de sa carrière à Terre-Neuve, il exploita un commerce à la fois comme papetier, imprimeur, libraire et éditeur.

C’est cependant à titre de journaliste que Winton acquit la notoriété. Avec Alexander Haire, il fonda en 1820 le Public Ledger and Newfoundland General Advertiser, quatrième journal à paraître à St John’s. L’association de Haire au journal prit fin en 1823, mais Winton continua à y être associé jusqu’à sa mort. S’il ne subsiste que peu de numéros des années 1820 à 1826, on sait, de l’aveu même de Winton, que dès 1821 ou 1822 il préconisa « avec acharnement » la création d’une « assemblée législative locale ». Il fut ainsi entraîné dans le mouvement réformiste qui agitait la colonie et il appuya la campagne menée par William Carson* et Patrick Morris* en vue d’obtenir des institutions représentatives. Il leur permit d’utiliser son journal pour faire connaître leurs réalisations au public. De 1827 à 1832, il ne cessa de réclamer avec insistance un Parlement. Il apporta également son appui au mouvement en faveur de la réforme parlementaire en Grande-Bretagne, ainsi qu’à l’émancipation des catholiques. Étant donné les événements ultérieurs, il peut paraître étonnant qu’avant 1832 Winton ait semblé être, à l’occasion, non seulement procatholique, mais également hostile à l’Église d’Angleterre. Le premier procès en diffamation dont les archives font mention lui fut intenté en 1827 par un prêtre anglican, Frederick Hamilton Carrington. Par ailleurs, après que le Parlement britannique eut voté le projet de loi d’émancipation des catholiques en 1829, Winton eut droit aux remerciements publics des catholiques de St John’s parce qu’il avait soutenu que les dispositions de la loi devaient également s’appliquer à Terre-Neuve. En 1830, un observateur le qualifia de « réformiste radical et rigoriste sur le chapitre des libertés civiles et religieuses ». Mais ce n’était qu’une impression superficielle. On aurait pu s’attendre à une critique peu sévère de l’Église d’Angleterre de la part de Winton qui était congrégationaliste. Pour ce qui est des opinions politiques, même à ses débuts, Winton ne fut pas un whig radical comme Carson : bien avant 1832, ses vues étaient teintées de conservatisme. Cela transparut d’ailleurs, lorsqu’il prit bien soin de se distancier de Daniel O’Connell, Irlandais catholique populaire, de qui il écrivit en 1831 : « nous n’en sommes pas un fervent admirateur ». Son conservatisme se manifesta aussi dans l’attitude qu’il adopta lors des émeutes de la baie de la Conception au cours des années 1830–1832 : il traita les émeutiers « d’anarchistes démagogues », de « bandits » et « d’agitateurs ». Winton fut particulièrement sévère envers ceux qui participèrent aux assemblées tenues en février 1832 sur la colline Saddle, entre Carbonear et Harbour Grace, pour protester contre le système de troc, pratique généralisée selon laquelle les pêcheurs recevaient « les arrérages [de salaire] en marchandises » plutôt qu’en argent. Si Winton souhaitait une extension des libertés civiles et religieuses, il croyait également à la défense de « l’ordre établi de la société » et des intérêts de « la partie respectable de la population » contre ceux qui choisiraient de plaire à l’esprit des « classes inférieures ».

Pendant plusieurs années, antérieurement à l’octroi d’un gouvernement représentatif en 1832, Winton entretint des rapports amicaux avec l’évêque catholique, Michael Anthony Fleming*. Au cours de la campagne qui précéda les premières élections générales sous la nouvelle forme de gouvernement, cette amitié se transforma en une hostilité si profonde que la politique terre-neuvienne en fut imprégnée pendant des générations. Le 7 septembre 1832, le Public Ledger déconseillait aux électeurs de choisir comme députés de la nouvelle Assemblée des « écoliers prétentieux ou des vieillards à la retraite », faisant clairement allusion à John Kent*, jeune marchand irlandais patronné par Fleming, et (malgré que Winton ait semblé le nier plus tard) à Carson. Kent riposta furieusement dans le Newfoundlander, et déclara qu’il avait flairé « un relent de préjugé » dans les propos de Winton. Il ajouta : « Il y a un parti ici [...] qui m’élirait même si j’étais un imbécile ». Dans cette lettre, ainsi que dans une circulaire publiée quelques jours plus tard, il précisa clairement qu’il estimait que les objections de Winton à son égard découlaient de la « haine implacable [qu’il nourrissait] envers les Irlandais et les catholiques ». Le 18 septembre, Winton publia une réponse dans un éditorial qui changea le cours de sa vie. Après avoir nié entretenir des préjugés, il demanda quel était le parti qui avait suffisamment d’influence « pour imposer l’élection d’un idiot [au] Parlement ». Une telle assertion, ajouta-t-il, était une insulte non seulement aux protestants, « mais à tout catholique respectable du district ». Il se demanda à quelle influence Kent pouvait bien faire allusion : « Nous sommes certain que monseigneur l’évêque, comme chef de l’Église dont M. K. est membre, ne tolérera pas une telle conduite et ne permettra pas qu’elle soit tolérée par quelque membre que ce soit de son respectable clergé. » Puis il nia le fait que Kent ait disposé d’une telle influence et conclut qu’il n’était qu’un « imposteur politique ». C’était là un éditorial dont l’évêque n’avait pas à s’offenser ; pourtant, il se sentit offusqué. Le 19 septembre, dans une lettre au Newfoundlander, il dénonça « le caractère inexcusable et injustifiable des propos que [Winton] avait tenus à [son] sujet en public », puis il allégua qu’« en tant que citoyen » il avait le droit de recommander des candidats aux électeurs. Sur ce, il appuya les candidatures de Kent, de Carson et de William Thomas, marchand de la ville. Il avait donc jeté le gant, et Winton était homme à le ramasser. Le 21 septembre, dans une réponse vigoureuse, ce dernier accusa Fleming d’avoir fait « une déformation si grossière et si obstinée de [ses] sentiments que seul l’esprit d’un jésuite pouvait l’avoir conçue ». Il déclara également que l’évêque avait « perdu avec raison » le respect non seulement des protestants, mais également celui du groupe « respectable de [ses] propres ouailles catholiques ». Dans l’atmosphère survoltée de la campagne, les remarques de Winton et ses déclarations subséquentes allaient susciter une vive hostilité chez les catholiques, depuis si longtemps insatisfaits. On tint des assemblées à St John’s et à la baie de la Conception pour appuyer Fleming et dénoncer Winton. Plus tard, Winton rappellerait que « les murs de la ville étaient placardés d’affiches jurant [sa] perte. » De son côté, Kent, dans ses discours, exhortait ses partisans en ces termes : « supprimez le Public Ledger – supprimez la presse orangiste ». Les graines d’une rivalité sectaire venaient d’être semées dans une colonie qui avait été jusque-là relativement paisible. Les 50 années qui suivirent allaient montrer dans quel terrain fertile elles étaient tombées.

Même avant les élections, Winton avait acquis la certitude que l’extension du droit de vote accordée en 1832 était « une erreur insigne » qui menacerait la paix et la prospérité de la colonie. À la suite de l’élection de plusieurs réformistes, dont Kent, cette opinion se mua en une profonde conviction. Il estimait que seuls des hommes vraiment indépendants devaient avoir le droit de vote. Ceux qui ne pouvaient penser par eux-mêmes, comme le gros des catholiques de St John’s, lesquels lui semblaient être, sur le plan intellectuel, sous le joug de leur clergé, devraient être exclus [V. Edward Troy*]. À son avis, ces électeurs n’étaient que les instruments d’une conspiration menée par le clergé en vue d’obtenir la haute main sur la chambre d’Assemblée. Journaliste doué d’un très grand sens des responsabilités et homme d’un courage à toute épreuve, Winton ne cesserait de répéter ces thèmes tant et aussi longtemps que le clergé catholique s’obstinerait à jouer un rôle en politique. Son opposition aux « pratiques rusées des prêtres » fut un des facteurs qui lui aliénèrent des réformistes comme Kent et Carson, qui jouissaient de l’appui inconditionnel du clergé catholique. De toute façon, ces hommes en étaient venus à l’offenser par leur radicalisme. Avec l’âge, le tempérament traditionaliste de Winton transparut de plus en plus dans son journal, et son animosité envers ceux qui prétendaient représenter les intérêts de la population s’accrut également.

À la suite des élections de 1832, les réformistes trouvèrent rapidement en Winton un ennemi implacable, dont la suprématie comme journaliste, dans le cercle étroit que représentait le milieu intellectuel de St John’s, lui conférait une influence qu’on ne pouvait ignorer. En 1833, Carson, James Douglas et d’autres peut-être jugèrent nécessaire de lancer le Newfoundland Patriot qui serait le nouvel organe réformiste à St John’s. Un des premiers employés de ce journal, Robert John Parsons*, avait été prote pendant six ans dans l’entreprise d’imprimerie de Winton. Ses liens avec le Public Ledger avaient été interrompus en 1833, lors d’une violente bataille à coups de poing avec son employeur. Dès 1840, Parsons était l’unique propriétaire et rédacteur en chef du Newfoundland Patriot, et des invectives personnelles acerbes contre Winton étaient monnaie courante dans ses articles.

      Pendant les années 1830, les tensions sectaires s’amplifièrent au sein de la colonie, et Winton devint une cible de choix pour l’hostilité des catholiques. En décembre 1833, à la suite de la victoire de Carson à une élection partielle dans St John’s, Winton se trouva vraiment dans une situation périlleuse. Le soir de Noël, une foule estimée à plus de 1 000 personnes se rassembla dans la rue près de chez lui, et les magistrats durent demander à l’armée d’intervenir pour éviter une émeute. Le ressentiment des catholiques envers le Public Ledger subsista encore pendant toute l’année 1834. Winton persista dans ses attaques contre Fleming et, en février 1835, il consacra même un paragraphe ironique à l’Order of the Presentation of Our Blessed Lady [V. sœur Mary Bernard Kirwan] ais il allait aussitôt s’en excuser. Pendant l’hiver de 1834–1835, Winton fut attaqué du haut de la chaire ; Fleming interdit effectivement à ses ouailles de lire le Public Ledger. Les catholiques soupçonnés d’être associés au journal se crurent obligés de présenter des excuses publiques, et les marchands abonnés au Public Ledger furent dénoncés et boycottés. Le 14 mai 1835, dans une dépêche adressée au ministère des Colonies, le gouverneur Henry Prescott* exprima son inquiétude au sujet de l’antipathie soulevée contre Winton, soulignant cependant que les dénonciations publiques à l’endroit des vendeurs du Public Ledger et de ses abonnés avaient cessé depuis « plusieurs semaines déjà ». Le 19 mai 1835, en fin d’après-midi, Winton allait à cheval de Carbonear à Harbour Grace en compagnie de William Churchward qui était à pied. Comme ils descendaient la colline Saddle, un groupe d’environ cinq individus aux visages bariolés les attaqua. Frappé à la tête par une pierre, Winton tomba de cheval ; le coup avait fait une large blessure. On lui asséna d’autres coups sur la tête et on remplit ses oreilles de boue et de gravier. Un des agresseurs ouvrit alors un couteau de poche, entailla l’oreille droite de Winton en deux endroits et trancha complètement la gauche. Winton survécut à l’épreuve mais, malgré l’ouverture immédiate d’une enquête officielle et une récompense de £1 500 promise par le gouvernement et les marchands, l’identité des assaillants reste encore un mystère. De plus, faute de preuves, on ne peut affirmer que l’animosité des catholiques ait été de quelque façon que ce soit reliée à la mutilation. Toutefois, la rumeur générale imputa aux catholiques la responsabilité du méfait. Selon Prescott, l’événement fut « l’objet d’un triomphe non dissimulé et de réjouissances parmi les catholiques des classes inférieures ; même les domestiques de sexe féminin et les enfants exprim[aient] la plus grande des satisfactions ». On arracha rapidement les avis de récompense placardés sur les murs, et une joyeuse ballade sur « Winton aux oreilles coupées » se mit bientôt à circuler. Un éditorial fort désobligeant du Patriot proclama que « si jamais crime méritait à juste titre miséricorde – ce cas plus que tout autre en [était] digne ».

Il est difficile d’évaluer les effets de cet incident insolite et cruel sur Winton. Cependant, la sympathie et l’appui que lui témoignèrent particulièrement les marchands contribuèrent sans conteste à le rapprocher d’eux. Le Public Ledger devint alors la tribune reconnue des « principes conservateurs » et l’organe de l’élite commerçante protestante qui exerçait son ascendant sur le Conseil de Terre-Neuve et avait la plus grande influence auprès du gouverneur. Le journal jouissait de l’appui publicitaire des marchands les plus en vue et du gouvernement. Cependant, dans le milieu journalistique de St John’s, où la concurrence était forte, Winton ne devait pas son succès au simple favoritisme, et sa défense du pouvoir établi ne découlait pas non plus purement de l’appât du gain. Winton était un journaliste talentueux et inventif et il écrivait par conviction. Son réseau de relations comptait un catholique, qui le renseignait sur le contenu des sermons prononcés à l’église ; après 1841, il eut un correspondant à Londres. Le Public Ledger paraissait deux fois la semaine, ce qui était une nouveauté à St John’s. Selon les commentaires que fit le gouverneur sir John Harvey en 1842, un seul des six autres journaux de la ville avait une plus forte diffusion. Qualifier Winton de journaliste impartial serait exagéré, mais ce n’était pas non plus un fanatique. Malgré son opposition à l’intervention du clergé en politique, il ne posa que très rarement des objections d’ordre théologique et historique au catholicisme. S’il est exact d’affirmer que Winton partageait avec les autres protestants un sentiment de méfiance vis-à-vis de l’Église romaine, il faut également souligner qu’à bien des égards c’était un homme tolérant et plein de compassion, même, à l’occasion, dans son attitude envers les catholiques. Néanmoins, il ne fit manifestement aucun effort pour comprendre les causes sous-jacentes du malaise dont souffrait la population irlandaise catholique de la colonie.

À la suite des élections de 1836, les pires craintes de Winton se concrétisèrent. Les réformistes prirent le pouvoir à la chambre d’Assemblée, soumettant la colonie à la domination « des prêtres et de la lie de [la] société ». Les cinq années qui suivirent allaient lui fournir de nombreuses occasions de faire valoir ses talents d’opposant. Il se lança dans une critique acerbe et implacable des figures marquantes de l’Assemblée. Ce furent de bonnes années pour Winton. Quoi qu’on puisse dire de ses principes, il faut bien admettre qu’il sut se montrer tenace, vigilant et courageux. Même si, en décembre 1838, il semble bien que l’Assemblée ait acquis le droit de faire incarcérer un individu pour outrage [V. Edward Kielley], Winton n’en continua pas moins ses attaques contre la chambre. En 1840, une répétition de l’attentat et de la mutilation dont il avait été victime en 1835, sur la personne de son assistant Herman Lott, ne le réduisit pas plus au silence. À cela, s’ajoutait également la menace de procès en diffamation. Winton, qui fut maintes fois juré, semblait connaître exactement la limite entre l’observation juste et la diffamation. De toute façon, il n’était pas enclin à s’adonner à la « pratique peu anglaise de s’attaquer à la réputation [et à la vie] personnelle et privée d’autrui ». En 1838, le catholique John Valentine Nugent*, influent député à l’Assemblée, perdit le procès qu’il avait intenté à Winton, et, par la suite, d’autres procès démontrèrent qu’il n’était pas homme à se laisser facilement attraper. D’un autre côté, Winton était en butte à de constantes attaques du Newfoundland Patriot depuis le début du journal. On le traitait d’ivrogne, de débauché, « de fou », « de flagorneur » et de « maniaque », mais il ne se soucia même pas de réclamer réparation devant les tribunaux, jusqu’à la parution d’un autre journal procatholique en 1841, le Newfoundland Vindicator. Kent se servit de ses pages pour prétendre que Winton était « le type même de l’affreux adultère – un alcoolique invétéré – un père de famille qui, à cause de son mauvais exemple, transmett[ait] à [ses] fils une éducation qui en [ferait] des sources de corruption sociale ». Winton se sentit obligé d’intenter des poursuites, et on lui accorda une somme de £200 en dommages-intérêts. L’imprimeur du Newfoundland Patriot se vit infliger la même amende en 1842. La presse fit souvent allusion aux aventures galantes et à l’ivrognerie de Winton, ainsi qu’aux mauvais traitements qu’il aurait infligés à ses enfants. Étant donné l’absence de documents d’ordre privé, on peut difficilement faire le point sur ces questions. Selon des amis qui témoignèrent en sa faveur devant le tribunal, il ne buvait pas à l’excès. Dans sa notice nécrologique, probablement rédigée par son fils Henry*, il est dit que ses relations avec sa famille étaient empreintes d’une « profonde tendresse », mais que « ses opinions sur le devoir des parents dénotaient des dispositions plutôt sévères ».

L’occasion de soumettre l’intégrité de Winton comme journaliste à un test révélateur survint après l’arrivée du gouverneur Harvey en 1841. Ce dernier présida à la proclamation de la constitution de 1842, qui apportait quelques restrictions au droit de vote et qui fusionnait les deux chambres en une seule. Selon toute apparence, le gouverneur était un homme vaniteux, suffisant et en quête de popularité ; bref, il n’était pas du tout le genre de personne apte à tenir les réformistes en échec. Les concessions que Prescott avait faites, avant même l’arrivée de Harvey, avaient provoqué chez Winton une vive inquiétude. En effet, Prescott avait démis le juge en chef Henry John Boulton* en 1838 pour le remplacer par John Gervase Hutchinson Bourne* que Winton qualifia de « nouveau whig radical ». Il avait également traité le gouverneur Prescott de « radical » pour avoir promu Patrick Morris au Conseil de Terre-Neuve. Mais de voir Harvey frayer ainsi avec les radicaux et les éléments catholiques était plus qu’il ne pouvait supporter. En mars 1842, Winton déclara que Harvey « se vend[ait] à la populace ». Les craintes qu’il entretenait en observant l’influence croissante des réformistes sous le gouvernement de Harvey ont pu être un facteur déterminant dans la décision de Winton de se porter candidat aux élections, en décembre. Il se présenta dans la circonscription de Burin et fut défait par le réformiste catholique Clement Pitt Benning*. Dès 1844, Winton réclama l’abolition du nouveau système et critiqua si vertement Harvey que la publicité gouvernementale fut retirée de son journal. En réponse à cette manifestation officielle de mécontentement, Winton revendiqua audacieusement son droit de commenter librement les affaires publiques, mais, en fait, il trouva sa situation incommode et atténua ses critiques. En 1845, il admit qu’il se contentait « d’observer passivement » le cours des événements. Il écrivit qu’aucun « commentaire libre » ne saurait être fait « sans nuire aux intérêts et même à la sécurité du journaliste qui oserait l’exprimer ». Pour la seule et unique fois au cours de sa carrière, Winton avait été réduit au silence, encore qu’il ait, à l’occasion, souligné les « balivernes » débitées par Harvey dans ses commentaires sur l’agriculture et tourné en dérision son « gouvernement comique ». À la suite de l’incendie qui dévasta St John’s en juin 1846, il rentra dans les bonnes grâces du gouvernement et se vit même offrir par Harvey un poste de secrétaire au sein d’un comité destiné à distribuer des secours aux victimes, poste qu’il accepta.

La tendance anticatholique du Public Ledger s’atténua considérablement pendant la période de l’Assemblée fusionnée. À la suite de la victoire de son vieil ennemi Parsons lors d’une élection partielle tenue en 1843, Winton dut admettre que le clergé n’y avait été pour rien, comme il dut reconnaître que le clergé n’avait pas pris part aux élections générales de 1848, où il fut une fois de plus défait dans Burin. À la fin des années 1840, on décèle dans ses propos sur Kent et Morris une chaleur inattendue. À la mort de Fleming en 1850, le journal de Winton publia une longue notice nécrologique, dans laquelle l’évêque est décrit comme un « véritable grand homme ». Il faut cependant noter que Winton n’était pas l’auteur de la notice. Or, cette douceur n’allait pas durer. À la veille de l’élection partielle de novembre 1850 à St John’s, Winton eut vent de la rumeur selon laquelle les prêtres avaient de nouveau appuyé un candidat, Philip Francis Little*, un des défenseurs du gouvernement responsable. À ce moment, l’aversion de Winton pour l’idée d’un gouvernement responsable était déjà bien ancrée. En fait, il en arriva rapidement à la conclusion que même l’ancien système de 1832, qui avait été restauré à toutes fins utiles en 1848, après l’expérience de la fusion des chambres, ne convenait pas à la colonie. Après la réélection de Little, le Public Ledger fulmina comme jadis contre le « parti des prêtres » qui avait fait appel aux « rebuts des gouttières et des égouts » pour s’assurer de la victoire. Sa fureur s’accrut encore davantage lorsqu’il apprit en 1851 que Little était ligué avec l’évêque catholique, John Thomas Mullock*, qui appuyait ouvertement le gouvernement responsable. Dans une lettre publiée cette année-là, Mullock écrivit que la population de Terre-Neuve « attend[ait] avec impatience le jour où elle pourra[it] prendre en main ses propres affaires ». Ainsi donc avait-on encore affaire à un évêque partisan. Une fois de plus, Winton releva le gant. Il passa les quatre dernières années de sa vie à mener un combat désespéré et perdu d’avance contre le gouvernement responsable, qui signifiait pour lui un abandon de la colonie aux mains de la populace. Avant de mourir, il en vint à regretter amèrement d’avoir aidé la colonie à se doter d’institutions représentatives en 1832. Le système qu’il préconisa dès lors était beaucoup plus simple. Il optait pour « un gouverneur et un conseil, ce conseil [étant] en partie électif et en partie nommé par la couronne ». Apparemment le gouverneur John Gaspard Le Marchant* partageait cette conception, mais les deux hommes semblaient comme des voix qui surgissaient du passé, et l’année où Winton mourut vit l’adoption d’une nouvelle constitution pour la colonie. Le catholique Little devint le premier titulaire du poste de premier ministre de Terre-Neuve sous le gouvernement responsable.

À la mort de Winton, son fils Henry devint rédacteur en chef, imprimeur et éditeur du Public Ledger, bien que sa mère, comme curatrice des biens, en ait été propriétaire jusqu’en 1860 ; cette année-là, il prit seul l’affaire en main. Deux de ses frères publièrent également des journaux à St John’s pendant les années 1860. Robert publia le St John’s Daily News et Francis, le Day Book. Le troisième de ses frères, Ebenezer, avait essayé en 1844 d’implanter à St John’s un journal qui devait paraître trois fois la semaine, le Morning Advertiser.

Henry David Winton fut un journaliste d’un talent peu commun. Son journal représenta les intérêts des protestants et des marchands, éléments qui dominèrent à Terre-Neuve à une époque marquée par des conflits religieux aigus. Comme partisan, on le craignait et on le haïssait, mais même ses adversaires reconnurent qu’il était sincère et courageux, et qu’il était capable de générosité d’esprit envers ses ennemis. Comme intellectuel et critique de la société terre-neuvienne, il n’eut probablement d’égaux en son temps que William Carson et John Valentine Nugent.

Patrick O’Flaherty

Les sources les plus révélatrices de la carrière terre-neuvienne de Henry David Winton sont les journaux de St John’s, plus particulièrement le Public Ledger and Newfoundland General Advertiser de Winton, pour les années 1827 à 1855, et le Newfoundland Patriot (plus tard le Patriot & Terra Nova Herald) de Parsons, pour les années 1834 à 1855. Les numéros du Public Ledger pour les années 1846 et 1848 ne se trouvent qu’au PRO (CO 199/7–8), tout comme les numéros du Patriot, pour les années 1838–1839 (CO 199/1), de même que des extraits d’un certain nombre de numéros du Public Ledger d’avant 1827 (CO 194). La biographie de Winton la plus digne de confiance est sa notice nécrologique, publiée dans le Public Ledger, 16 janv. 1855.

Pour les documents officiels relatifs à la mutilation que subit Winton en 1835, voir : PRO, CO 194/90 :183–207, et PANL, GN 2/2, avril-sept. 1835 : 41–46, 57–60. Voir aussi : NLS, Dept. of mss, ms 2350 : fos 147–154, 170, 175, et le Public Ledger, 2 juin 1835. On trouvera au PRO, CO 194/99 : 49–66, le très long récit, écrit par Winton, de ses relations avec Fleming.  [p. o’f.]

Devon Record Office (Exeter, Angl.), 2992 A/PR10 (St Saviour parish, Dartmouth, reg. of marriages, 1813–1837), 3 sept. 1816.— NLS, Dept. of mss, ms 2350.— PANL, GN 2/2 ; GN 5/2/A/1-1832–1835 : 88–90.— PRO, CO 194/61–146 ; RG 4/959 ; 4/1209 : fos 9, 24 vo.— Supreme Court of Nfld. (St John’s), Registry, 3 : fo 235 (administration des biens de H. D. Winton, 27 janv. 1855).— T.-N., House of Assembly, Journal, 1833–1855.— Newfoundlander, 1827–1834, 1837–1843.— Newfoundland Mercantile Journal, 1816–1827.— Newfoundland Vindicator (St John’s), 1841–1842.— Royal Gazette and Newfoundland Advertiser, 1810–1818, 1828–1831.— Gunn, Political hist. of Nfld.

Comment écrire la référence bibliographique de cette biographie

Patrick O’Flaherty, « WINTON, HENRY DAVID », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 15 oct. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/winton_henry_david_8F.html.

Information à utiliser pour d'autres types de référence bibliographique


Permalien: https://www.biographi.ca/fr/bio/winton_henry_david_8F.html
Auteur de l'article:    Patrick O’Flaherty
Titre de l'article:    WINTON, HENRY DAVID
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1985
Année de la révision:    1985
Date de consultation:    15 oct. 2024