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GOODERHAM, GEORGE, homme d’affaires et plaisancier, né le 14 mars 1830 à Scole, Angleterre, troisième fils de William Gooderham* et de Harriet Tovell Herring ; le 14 mars 1851, il épousa à Toronto Harriet Dean, et ils eurent quatre fils et huit filles (tous, sauf une fille, parvinrent à l’âge adulte) ; décédé dans cette ville le 1er mai 1905.
George Gooderham naquit dans une aisance relative au domaine familial que son père, gentleman-farmer, exploitait à Scole. Il immigra dans le Haut-Canada à l’âge de deux ans, au sein d’un groupe de 54 personnes dirigé par son père et qui arriva à York (Toronto) le 25 juillet 1832. Là, les Gooderham retrouvèrent James Worts, mari de la sœur de William, qui, l’année précédente, était venu établir, pour lui-même et William, un moulin à farine à vent à l’embouchure de la Don, à l’est de la ville. Bientôt actionné à la vapeur, ce moulin, auquel s’ajouta en 1837 une distillerie, allait être l’instrument par lequel les Gooderham feraient fortune au Canada. Worts mourut en 1834 ; en 1845, son fils James Gooderham* s’associa à l’entreprise, qui prit le nom de Gooderham and Worts.
Dans sa jeunesse, George fréquenta l’école du dimanche et devint bibliothécaire de l’église anglicane Trinity, qui se trouvait à quelques pas au nord de la maison familiale, elle-même adjacente à la minoterie-distillerie. L’église (par la suite Little Trinity) devint le foyer de ses premières activités sociales. C’est là qu’il fit la connaissance de Harriet Dean, qu’il épousa le jour où il eut 21 ans. Son père, anglican évangélique, fut marguillier de Little Trinity durant de nombreuses années ; lui-même participait souvent aux assemblées du conseil paroissial et fut secrétaire de ce conseil en 1854–1855. Il loua un banc dans cette église de 1852 aux années 1880, mais ensuite, il fréquenta la cathédrale St James.
Entré tôt à la Gooderham and Worts pour s’initier aux affaires, George devint, le 1er août 1856, associé à part entière dans la distillerie, aux côtés de son père et de son cousin James. Selon le Monetary Times, si l’entreprise se lança, trois ans plus tard, dans une vaste expansion, ce fut sous l’influence de cet homme énergique et clairvoyant : « Il offrit, en échange d’une plus grande participation à l’entreprise, de présider à l’agrandissement qu’il avait recommandé et de répondre du succès de l’opération. » L’expansion prit fin en 1861 et coûta, estima-t-on, 200 000 $ ; avant cette date, Gooderham en avait réduit le risque en prenant soin de conclure avec une distillerie concurrente, la John H. R. Molson and Brothers, de Montréal, une entente qui fixait les prix de leur production. Dès 1863, sinon avant, il dirigeait l’usine de Toronto.
Si Gooderham connut une ascension aussi rapide, ce fut en partie parce que ses frères aînés levèrent le nez sur l’entreprise familiale. William* s’était installé en 1842 à Rochester, dans l’État de New York, pour y être marchand. Le cadet, James, suivit son exemple vers 1850 et alla exploiter un magasin général à Norval, dans le Haut-Canada. Cependant, la loyauté de George n’explique pas tout ; ses solides connaissances techniques et son perfectionnisme contribuèrent aussi à sa réussite. « Il connaissait sa matière aussi bien sous le rapport de la chimie que de l’économie, lit-on dans le Monetary Times, et il avait l’habitude de tester minutieusement des grains et de la levure au microscope. »
Au cours de son expansion, de 1859 à 1861, l’entreprise avait automatisé ses opérations de meunerie et de distillerie. L’automatisation de la tonnellerie ne se fit qu’une décennie plus tard, soit au moment où les grandes distilleries imitèrent l’industrie pétrolière en adoptant les machines à fabriquer les tonneaux. Ce changement fut très difficile pour la quarantaine de tonneliers de la Gooderham and Worts : en 1870, la Coopers International Union décidait de leurs salaires et de leurs heures de travail, mais en moins de deux ans, l’installation des nouvelles machines avait brisé l’emprise du syndicat. Vers 1875, les 150 ouvriers de l’usine produisaient un tiers des gallons de spiritueux qui étaient fabriqués au Canada. Vraisemblablement, tout au long de cette période, George Gooderham contribua beaucoup à l’augmentation de l’efficacité de la distillerie.
Par ailleurs, en même temps que son père, il se lança dans la banque et les chemins de fer. En septembre 1870, il entra au conseil d’administration de la Toronto, Grey and Bruce Railway Company, qui, tout comme la Toronto and Nipissing Railway Company, appartenait principalement à la Gooderham and Worts et transportait des marchandises pour elle. Trois ans plus tard, il devint membre du conseil d’administration de la Banque de Toronto, dont son père était président et où la Gooderham and Worts avait aussi des intérêts majoritaires.
William Gooderham père mourut le 20 août 1881. Le surlendemain eut lieu la fusion des deux sociétés qu’il possédait par l’entremise de la Gooderham and Worts : la distillerie et une maison de commerce fondée en 1846 avec James Gooderham Worts. En même temps, Worts et George Gooderham en devinrent les seuls propriétaires. La plus grande partie de la succession du défunt passa à George et à William fils, leur frère James étant mort en 1879. Worts accéda à la présidence de la Banque de Toronto (George était vice-président), mais il mourut le 20 juin 1882. Élu président le lendemain, George le demeura jusqu’à son décès. En outre, il devint le principal propriétaire de la Gooderham and Worts et, peu de temps après, demanda au Parlement l’autorisation d’en faire une société par actions. Les lettres patentes furent délivrées le 2 décembre et l’on fixa le capital à 2 millions de dollars. Gooderham devint président de la Gooderham and Worts Limited et ses deux fils aînés, William George* et Albert Edward*, entrèrent au conseil d’administration.
Dès lors, George Gooderham passa une grande partie de son temps à élargir la base de sa fortune en investissant dans l’immobilier, les mines et les services financiers. Par exemple, il en vint à détenir des hypothèques d’une valeur d’environ 570 000 $ sur 181 propriétés torontoises. Il possédait aussi des douzaines de propriétés urbaines dont la valeur était estimée à 823 000 $. Avec son gendre Thomas Gibbs Blackstock, il investit dans deux mines de renommée internationale, la War Eagle et la Centre Star, dans la région de Kootenay, en Colombie-Britannique. De plus, il possédait la moitié d’une mine de charbon au Colorado.
En 1887, Gooderham et d’autres financiers torontois fondèrent des sociétés jumelles, la Compagnie d’assurance contre les accidents, dite des Manufacturiers, et la Compagnie d’assurance sur la vie, dite des manufacturiers, et réussirent à faire nommer le premier ministre du Canada, sir John Alexander Macdonald*, à la présidence des deux. Gooderham, vice-président des deux sociétés, contracta la première police d’assurance-vie émise par la Compagnie d’assurance sur la vie ; elle valait 50 000 $. Le 22 juin 1891, peu après la mort de Macdonald, il devint président de cette compagnie qui, tout au long des années 1890, ne cessa de prendre de l’expansion à l’étranger. Il quitta la présidence le 30 juin 1901, soit la veille du jour où la Compagnie d’assurance sur la vie fusionna avec la Tempérance and General Life Assurance Company. Le 11 avril 1900, il était devenu président de la Corporation permanente d’hypothèques du Canada et du Canada occidental (à compter de 1903, la Canada Permanent Mortgage). Cette société était issue de la réunion de plusieurs établissements financiers que la famille Gooderham soutenait depuis longtemps, par exemple la Western Canada Loan and Savings, dont George avait été vice-président. En outre, il fut président de la Dominion of Canada Guarantee and Accident Insurance Company et membre du conseil d’administration de la Toronto General Trusts Company, la première société de fiducie du Canada. Non seulement administrait-il des sociétés financières, mais il y investissait de grosses sommes. Ainsi, ses actions de la Banque de Toronto en vinrent à valoir plus de un million de dollars, et en 1905, ses actions de la Canada Permanent valaient plus de 300 000 $.
La réussite de Gooderham, tant à la distillerie que dans la finance, provenait aussi de sa prudence et de sa minutie. Surtout, il avait le don de discerner les liens qui unissaient diverses activités économiques et d’en tirer parti. À la distillerie, la compagnie maîtrisait de plus en plus les étapes de la production, de la culture des céréales à l’entonnage, et tirait profit de l’utilisation de certains sous-produits, telle la drêche, dont elle nourrissait son bétail. Dans les services financiers, où des lois propres à créer des divisions limitaient les activités de chaque type d’établissement, l’appartenance de Gooderham aux conseils d’administration d’une banque, d’une société de fiducie, d’une société d’hypothèques, d’une compagnie d’assurance-vie et de sociétés d’assurance-accident reliait ces sociétés entre elles. Cette intégration horizontale répartissait le risque de ses investissements personnels, mais surtout, elle l’aidait à repérer les occasions de réaliser des bénéfices. Ses compagnies demeurèrent donc relativement stables en période d’incertitude économique.
De 1889 à 1892, Gooderham se fit construire une immense résidence de style roman à l’angle nord-est des rues Bloor et St George, dans le nouveau coin chic de Toronto, le quartier Annex. L’architecte principal en fut David Roberts fils, dont le père avait réalisé les plans pour l’agrandissement du moulin et de la distillerie effectué de 1859 à 1861. Gooderham baptisa sa maison Waveney, du nom de la rivière qui baignait sa ville natale dans le Norfolk. En s’offrant cette luxueuse demeure, que les évaluateurs municipaux estimèrent à 138 000 $ et où loge aujourd’hui le York Club, Gooderham faisait une entorse à ses habitudes : en général, il n’aimait pas se faire remarquer.
Gooderham laissa aussi d’autres monuments imposants à Toronto : son siège social – l’immeuble de forme triangulaire construit en 1892 à l’angle des rues Front et Wellington, autre œuvre de Roberts – et le King Edward Hotel, rue King. Dessiné par Edward James Lennox* et érigé de 1901 à 1903, cet hôtel de huit étages ne tarda pas à connaître de graves problèmes de financement. En fin de compte, Gooderham, président de la Toronto Hotel Company, qui le construisait, accepta de signer personnellement une garantie de 1,45 million de dollars. Les promoteurs de la ville le félicitèrent d’avoir endossé le risque et de doter Toronto d’un hôtel de calibre international.
Dans ses années de maturité, Gooderham se passionna pour la navigation sportive. Vers 1880, il acheta un schooner de course, l’Oriole ; il l’amarrait à l’extrémité est de la baie de Toronto, à côté de la distillerie. En 1886, il remplaça ce bateau par l’Oriole II, qui, dans les sept années suivantes, remporta six fois la coupe du prince de Galles aux compétitions du Royal Canadian Yacht Club. Gooderham fut vice-commodore du club de 1884 à 1887 et commodore en 1888. En outre, il fut l’un des six commanditaires du cotre Canada, qui remporta le premier challenge de la coupe Canada sur le lac Érié le 25 août 1896.
En 1881, Gooderham construisit, dans l’île Toronto, une maison d’été qui donnait sur le lac Ontario et d’où il pouvait voir les courses du Royal Canadian Yacht Club. Il possédait un service de bacs et, avec d’autres propriétaires de traversiers, demanda au conseil municipal, à la fin de 1886, la permission d’exploiter un monopole dans les mois d’été. La population protesta si vivement que les propriétaires retirèrent leur requête et que la municipalité finit par instaurer son propre service.
Gooderham remplit plusieurs fonctions de prestige aux côtés d’autres membres de l’élite torontoise. Il fut tour à tour maître d’équipage du Toronto Hunt Club, administrateur à l’Ontario Jockey Club et capitaine dans la milice de réserve. En outre, il appartint au conseil de la University of Toronto et au conseil d’administration du Toronto General Hospital. Mélomane, il s’associa à l’imprésario Frederick Herbert Torrington* pour organiser le Toronto Music Festival de 1886, dont il fut président honoraire, et mettre sur pied le Toronto College of Music, qui fut constitué juridiquement en 1890 et dont il devint président. Conservateur en politique, il fit des dons au parti, mais ne brigua jamais les suffrages.
Dans sa vieillesse, Gooderham, atteint de bronchite chronique, fuyait le Canada chaque hiver pour des cieux plus cléments – ceux de la Méditerranée ou du sud des États-Unis. Plusieurs semaines après son retour de Floride en 1905, il contracta une pneumonie. Il mourut dans sa maison de Toronto à l’âge de 75 ans.
Il laissait une succession dont la presse déclara d’abord qu’elle valait plus de 15 millions de dollars. « L’accumulation d’une telle fortune entre les mains d’un seul homme fait date dans l’histoire du Canada, écrivit un nécrologue dans le Saturday Night. Que le Canada, malgré sa faible population et son état assez peu avancé de développement, ait produit des financiers du calibre de M. Gooderham, constitue une preuve éclatante des possibilités énormes du pays. » Son testament, publié en août 1905, déclarait que ses biens valaient 9,3 millions de dollars (ce chiffre fut augmenté par la suite). Gooderham était donc l’un des hommes les plus riches du Canada. En partie grâce aux 519 000 $ que l’Ontario toucha en droits de succession – plus de 8 % du budget de la province –, le déficit, qui atteignait 480 000 $ en 1904, se transforma en excédent l’année suivante. La composition de la succession montrait avec quelle efficacité Gooderham avait diversifié ses investissements. En 1881, près de 90 % de la fortune de son père était investi dans la distillerie ; en 1905, ses propres investissements dans cette entreprise ne représentaient qu’environ le tiers de sa richesse.
Même s’il était devenu sept fois plus riche que son père et si ses investissements dans les services financiers et l’immobilier avaient des incidences sur la vie de milliers de personnes, George Gooderham était resté quasi inconnu, même de ses concitoyens torontois. Ses obsèques furent discrètes et son héritage se dispersa vite. Dans son testament, il avait confié la distillerie à ses quatre fils et à Thomas Gibbs Blackstock, les fiduciaires de sa succession. Ses deux fils aînés, William et Albert, administreraient l’entreprise et, au bout de dix ans, auraient le droit de s’en porter acquéreurs. La présidence de la Gooderham and Worts passa à William, qui l’occupa jusqu’à ce que la famille vende la distillerie à Harry C. Hatch*, en 1923.
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Dean Beeby, « GOODERHAM, GEORGE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 2 oct. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/gooderham_george_13F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/gooderham_george_13F.html |
Auteur de l'article: | Dean Beeby |
Titre de l'article: | GOODERHAM, GEORGE |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1994 |
Année de la révision: | 1994 |
Date de consultation: | 2 oct. 2024 |