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LORTIE, STANISLAS-ALFRED, prêtre catholique, professeur et auteur, né le 12 novembre 1869 à Québec, fils d’Henri Lortie, marchand, et de Marie-Ursule Drolet ; décédé le 19 août 1912 à Curran, Ontario, et inhumé le 22 à Québec.
Après son cours primaire, Stanislas-Alfred Lortie est inscrit en 1881 comme externe au petit séminaire de Québec, où il se lie d’amitié avec Jules Dorion et Adjutor Rivard*. Son intelligence vive et une puissance de travail peu commune attirent l’attention de ses maîtres. Au grand séminaire de Québec, où il entre après ses études classiques, en 1889, Lortie étudie avec l’abbé Louis-Adolphe Pâquet*, qui jouera pour lui en quelque sorte le rôle de guide. Lortie est envoyé poursuivre ses études à Rome et il y passe deux années à se spécialiser en théologie à l’université pontificale de la Propagande où des théologiens s’affairent à restaurer le thomisme. Au nombre de ses confrères se trouvent l’abbé Eugène Lapointe, qui marquera l’action sociale au Saguenay, l’abbé Aristide Magnan, futur historien des Franco-Américains, et l’abbé Élie-Joseph-Arthur Auclair, auteur de plusieurs monographies d’histoire régionale.
Ordonné prêtre à Rome, en juin 1892, Lortie revient à Québec, doctorat en théologie en poche, et il est affecté à l’enseignement de la philosophie au petit séminaire de Québec pendant sept ans. Un de ses anciens élèves, l’abbé Arthur Maheux*, a rappelé que les jeunes gens appréciaient surtout de Lortie sa clarté d’exposition, son style direct mêlé de quelque peu de rudesse, sa démarche ferme, et sa voix forte et claironnante. Lortie enseigne alors à l’aide du manuel de philosophie du dominicain romain Thomas-Marie Zigliara, ouvrage orthodoxe mais diffus et pas assez au fait des questions contemporaines. En 1900, il est appelé à enseigner la théologie au grand séminaire de Québec. Ce sera sa principale fonction jusqu’à sa mort.
Tout en donnant ses leçons et en corrigeant ses copies, Lortie trouve le temps de rédiger un cours complet de philosophie, dont les trois volumes paraîtront en 1909 et 1910, à Québec. Suivant les prescriptions romaines du temps, le manuel est publié en latin, dans une langue relativement simple, et sous le titre de Elementa philosophiæ christianæ ad mentem s. Thomæ Aquinatis exposita. Après celui de Jérôme Demers* publié en 1835 et depuis longtemps déclassé par le renouveau thomiste, c’est le premier manuel de philosophie écrit par un Canadien français pour ses jeunes compatriotes. Malgré le caractère rébarbatif de la formulation syllogistique exprimée en latin de cuisine, en dépit de quelques raisonnements plus faibles que d’autres, l’ouvrage est reçu avec faveur par les maîtres des collèges peu préparés à l’enseignement et forcés de bâtir hâtivement leurs cours. Sont particulièrement appréciés les développements de Lortie sur les questions sociales comme le droit naturel de coalition des ouvriers, ou la grandeur et les misères du régime parlementaire. Son manuel restera en usage dans les classes de philosophie jusqu’à la fin des années 1930.
Élevé à la ville, où il a pu observer la vie ouvrière, étudiant-clerc à Rome au lendemain de l’encyclique Rerum novarum sur la condition des ouvriers, le philosophe-théologien va faire des questions sociales un des axes de sa réflexion. Jules Dorion se plaît à faire remonter sa vocation sociale et celle de Lortie à 1888, année ou élèves au petit séminaire de Québec, ils ont assisté à une conférence de l’économiste catholique et disciple de Frédéric Le Play, François-Edme Rameau de Saint-Père. L’attitude du haut clergé de la ville de Québec face à la question ouvrière connaît un tournant en 1900 au moment de la grève spectaculaire des ouvriers de la chaussure. Dans un geste qui sera observé et commenté dans le monde catholique et bien au delà dans les milieux intéressés à ces questions, la partie ouvrière et la partie patronale réussissent à briser l’impasse grâce à l’arbitrage de l’archevêque Louis-Nazaire Bégin*. Lortie a suivi attentivement les opérations et a préparé le projet de règlement, révisé par l’archevêque. Ses notes de lecture de ces années montrent qu’il suit avec attention ce qu’on appelle alors le mouvement social, en Europe en particulier. En 1900 et 1901, il présente une série de conférences publiques à l’université Laval sur le socialisme. Le conférencier sait instruire et intéresser la petite élite culturelle de Québec, mais ses propos alimentés d’expériences et d’idées de penseurs européens ne rejoignent pas toujours les préoccupations de ses auditeurs. Esprit infatigable, il prépare en 1903 une monographie fouillée sur une famille ouvrière de la ville de Québec. « Compositeur typographe de Québec » paraît dans les Ouvriers des deux mondes à Paris l’année suivante. L’étude, par sa précision et la richesse des renseignements, constitue un document inestimable sur la condition du travailleur et de sa famille au début du siècle.
En 1905, Lortie, qui est membre de la Société d’économie sociale de Paris, fonde à l’université Laval la Société d’économie politique et sociale. Avec Joseph-Évariste Prince, professeur à l’université, Lortie adresse le 7 avril 1905 un appel à ceux qui veulent se pencher sérieusement sur les questions socio-économiques. Ce cercle d’études, composé d’une poignée de membres des professions libérales, d’ecclésiastiques et de journalistes, en vient rapidement à délaisser la situation européenne au profit des réalités de la province de Québec qu’ils se mettent à considérer avec la participation des représentants syndicaux de la chaussure. La société ne survivra pas à Lortie.
Bien dans l’esprit de son temps, Lortie forme peu à peu le projet de constituer une grande agence de coordination de toutes les œuvres catholiques sociales du diocèse de Québec. Avec les abbés Paul-Eugène Roy* et Charles-Octave Gagnon, et l’avocat Adjutor Rivard, il en élabore le projet. Le 31 mars 1907, l’archevêque de Québec, Mgr Bégin, lance par une lettre pastorale célèbre l’Action sociale catholique et, du même souffle, crée l’Œuvre de presse catholique. On vise alors à créer un journal quotidien catholique à Québec, qui soit libre de tout contrôle des partis politiques et dévoué à l’Église. C’est encore Lortie qui, avec l’abbé Roy, persuade son ami Jules Dorion de devenir le premier directeur de l’Action sociale, dont le premier numéro paraît le 21 décembre 1907.
Dans la mouvance de l’action sociale catholique s’inscrit aussi la lutte en faveur de la tempérance, priorité sociale de l’épiscopat après 1900. Lortie fait faire une enquête sur l’épargne populaire auprès des établissements bancaires. Il en conclut que tempérance et épargne vont de pair du fait que les dépôts ont augmenté sensiblement de 1906 à 1908, années des grandes campagnes de tempérance. Son rapport constitue une pièce de choix dans les actes du premier Congrès de tempérance publiés en 1910. Un des organisateurs du congrès, Lortie figure aussi parmi les fondateurs du Croisé, organe de l’Action sociale catholique, dont le premier numéro est publié à Québec en septembre 1910.
Lortie se retrouve partout où ses dons peuvent se déployer. C’est ainsi qu’il remplit la fonction de secrétaire adjoint du premier Concile plénier de Québec en 1909. Cette rencontre marque la création d’un front commun des évêques sur la question nationale et la question sociale. Lortie trouve aussi le temps d’offrir des leçons aux élèves du collège Jésus-Marie de Sillery. Enfin, il exerce son ministère à l’hôpital de la Miséricorde, refuge des mères célibataires.
Lortie vit au temps de la vague de fond nationaliste déclenchée par l’exécution de Louis Riel*. Délibérément à l’écart des partis, œuvrant sur le plan social plus que national, Lortie a apporté cependant une pierre de choix à la consolidation de l’identité nationale par la fondation en 1902, avec son ami Adjutor Rivard, de la Société du parler français au Canada. Il l’anime par son enthousiasme, ses communications et ses écrits érudits. Il est un des rédacteurs du Bulletin du parler français au Canada (Québec) que la société publie jusqu’en 1918 pour faire connaître les travaux de ses membres. L’étude de Lortie sur l’origine géo-linguistique des colons de la Nouvelle-France allait demeurer un classique jusqu’à tout récemment et sa contribution au fichier qui donnera naissance en 1930 au célèbre Glossaire du parler français au Canada est inestimable. Lortie a le mérite d’avoir durablement lancé sur les bases scientifiques de l’époque l’étude de la langue franco-québécoise. Son travail en faveur du français culmine avec le premier grand congrès sur le thème de la langue française qui a lieu à Québec en 1912.
Conçu sur le modèle d’un congrès eucharistique, avec une alternance de réunions savantes et de manifestations publiques, ce congrès rassemble des représentants de France et des délégués de toutes les régions francophones de l’Amérique du Nord. Les communications tracent un tableau de la situation des minorités, des droits qu’ils peuvent revendiquer et s’efforcent de dégager les caractéristiques du parler franco-canadien. Les manifestations publiques – dévoilement du monument dédié à Honoré Mercier*, parade de la Saint-Jean-Baptiste, banquets officiels – revêtent l’allure d’un pèlerinage national aux sources de la culture française en Amérique. Les congressistes mettent sur pied un secrétariat général, l’ancêtre de l’actuel Conseil de la vie française en Amérique, qui deviendra au fil des ans un instrument au service de la survivance des minorités francophones.
La nature a doté Lortie d’une constitution vigoureuse qui annonce l’homme énergique. Le front large et les yeux vifs, la démarche ferme, il possède tout pour en imposer. Homme d’étude, Lortie excelle dans les échanges en groupe plus qu’à la tribune ou en chaire. Les dehors sont un peu vifs et il ne sait pas dissimuler une certaine rudesse de manières, mais il possède l’art de s’entourer de collaborateurs. Si Lortie a pu réaliser tant de choses en une bien courte carrière, c’est qu’il jouit d’un rare sens de l’organisation. Tout ce qu’il recueille est classé pour servir à son heure, depuis les fiches sur la langue franco-canadienne jusqu’aux notes de lecture sur la montée du socialisme en Allemagne. Semeur d’idées, lanceur de projets, Lortie se contente volontiers de postes de secrétaire ou de trésorier qu’il remplit d’ailleurs avec fidélité et soin.
Sur le plan des idées qui inspirent toute son action, Lortie constitue un des meilleurs représentants du clerc intellectuel arrivé à l’âge adulte au temps de Rerum novarum qu’a suivi la croisade de Pie X pour la rechristianisation de la société. Lortie s’accommode aussi aisément du nouvel esprit nationaliste canadien-français. Son engagement dans la lutte contre l’intempérance et son action pour la presse catholique s’inscrivent dans la logique de « combat social ». Certes, l’action et la pensée de Lortie restent marquées par l’élitisme et le cléricalisme de son temps. Il mesure sans doute vite ses limites dans l’action ouvrière qu’il envisage à la manière quelque peu paternaliste des grands patrons catholiques français comme Léon Harmel. Lortie est aussi manifestement plus à l’aise avec ses anciens compagnons de collège qui parlent son langage qu’avec « le peuple », dont le sépare sa qualité de prêtre et de professeur d’université. Lortie se distingue de ses prédécesseurs clercs autant par une formation plus approfondie que par un refus net d’intervenir dans les luttes politiques partisanes.
À 42 ans, Lortie est déjà miné « bien avant l’âge » par son « activité fébrile ». Touché du mal qui va l’emporter, il se retire chez son frère, curé de la petite paroisse rurale et francophone de Curran, où il s’éteint le 19 août 1912. Ses funérailles à la cathédrale de Québec attirent tout ce que la vieille capitale compte de clercs et de laïques engagés dans les questions patriotiques et sociales. Un de ses amis, qui marche dans ses traces, l’abbé Émile Chartier* dégage bien le rôle de Lortie : « [il] a posé les principes et les bases de notre action. Ceux qu’il a inspirés, ceux qui l’ont secondé demeurent pour tirer les conséquences et continuer l’édifice ; ils achèveront une œuvre qu’il n’a pu qu’ébaucher. »
Stanislas-Alfred Lortie est l’auteur de : l’Origine et le Parler des Canadiens français : études sur l’émigration française au Canada de 1608 à 1700, sur l’état actuel du parler franco-canadien, son histoire et les causes de son évolution (Paris, 1903) ; de « Compositeur typographe de Québec, Canada (Amérique du Nord), salarié à la semaine dans le système des engagements volontaires permanents d’après les renseignements recueillis sur les lieux en 1903 » dans les Ouvriers des deux mondes [...], no 101 (Paris, 1904 ; réimpr. dans Paysans et ouvriers québecois d’autrefois, introd. de Pierre Savard (Québec, 1968) ; et de Elementa philosophiæ christianæ ad mentem s. Thomæ Aquinatis exposita (3 vol., Québec, 1909–1910).
AN, MG 30, C49, 13.— ANQ-Q, CE1-97, 14 nov. 1869.— ASQ, Journal du séminaire ;
Pierre Savard, « LORTIE, STANISLAS-ALFRED », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 15 oct. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/lortie_stanislas_alfred_14F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/lortie_stanislas_alfred_14F.html |
Auteur de l'article: | Pierre Savard |
Titre de l'article: | LORTIE, STANISLAS-ALFRED |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1998 |
Année de la révision: | 1998 |
Date de consultation: | 15 oct. 2024 |