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CREIGHTON, ELIZA JANE (Harvie), maîtresse de maison et réformatrice sociale, née le 11 mars 1840 près de Peterborough, Haut-Canada, fille de Kennedy Creighton et de Laura Hart ; le 1er mai 1861, elle épousa à Aurora, Haut-Canada, John Harvie*, et ils eurent un fils et trois filles ; décédée le 22 juin 1929 à Toronto.
Eliza Jane Creighton, Lizzie J., comme elle était appelée dans sa famille et ailleurs, était la deuxième des cinq enfants survivants d’un ministre méthodiste né en Irlande et de sa femme, originaire de Pennsylvanie. Son enfance se déroula sous le signe du changement : au moment d’entrer à l’école, à Bytown (Ottawa), elle avait déjà connu dix presbytères. Elle termina ses études au Wesleyan Ladies’ College à Dundas. Quand elle était à la maison, elle-même et son frère John R. tenaient l’école du dimanche à la place de leur père ; elle se consacrerait à cette activité toute sa vie. D’une taille de peut-être cinq pieds et demi, elle était svelte et avait des traits énergiques (à en juger d’après ses portraits). C’était une femme attachée à ses habitudes.
En 1860, à l’époque où son père était président du district ecclésiastique de Barrie, Mlle Creighton attira l’œil de John Harvie, conducteur en chef à la Northern Railway Company. Selon la tradition familiale, elle le remarqua pendant qu’il dansait dans un hôtel à Aurora. Au lendemain du mariage, qui fut célébré par son père à elle, le couple s’installa à Toronto, près des cours de la Northern Railway Company. John était un fervent presbytérien ; Eliza Jane se convertit. En 1865, ils vivaient à Collingwood, où John était chef de gare, mais l’année suivante ils étaient de retour à Toronto. Lorsque John obtint le poste de chef des trains et du contrôle du trafic à la Northern Railway Company, les Harvie s’installèrent dans une maison mise à leur disposition par l’entreprise. Mme Harvie devait être occupée. Dès l’âge de 29 ans, elle avait quatre enfants, une grande maison et son travail à l’église presbytérienne West. En juillet 1874, elle perdit sa fille Mary. Sa réaction devant cette tragédie illustre à merveille sa façon d’aborder la vie : il fallait améliorer les services médicaux pour enfants. Cet hiver-là, notamment avec Elizabeth Jennet McMaster [Wyllie*] et lady Macdonald [Bernard*], elle participa à des réunions qui débouchèrent en mars 1875 sur l’ouverture du Hospital for Sick Children.
D’autres activités philanthropiques suivirent bientôt. En 1876, un groupe de femmes laïques formèrent la Woman’s Foreign Missionary Society de l’Église presbytérienne au Canada (division de l’Ouest). Eliza Jane Harvie en devint secrétaire aux affaires étrangères ; elle occuperait ce poste jusqu’en 1896, ne le délaissant que de 1888 à 1890, pour des raisons de santé. L’organisme s’occupait principalement de missions étrangères [V. Agnes Maria Turnbull*] ainsi que d’écoles et de missions pour les autochtones de l’Ouest canadien. Non seulement recueillait-il de l’argent pour ces écoles et missions mais, dans le cas de celles de l’Ouest, il aidait à amasser des vêtements et des couvertures. Tout en répondant au courrier, Mme Harvie parcourait l’Ontario afin de mettre sur pied des équipes de bénévoles et des groupes missionnaires, de visiter des sections et de prononcer des discours. Le bulletin de la société, le Monthly Letter Leaflet, donne de nombreux aperçus de ses activités. Depuis 1876, Eliza Jane Harvie appartenait aussi au conseil d’administration de la Women’s Christian Association, qui tenait une pension pour jeunes ouvrières célibataires venues surtout de l’extérieur de Toronto. De plus, des membres bénévoles rendaient visite à des détenues à la prison de la ville. Mme Harvie faisait partie du comité de la prison (de même que du comité de l’hôpital et du comité de l’hospice) et elle ne tarda pas à se rendre compte que les ex-détenues n’avaient aucun soutien si elles voulaient changer de vie en réintégrant la société. Au début de 1878, elle persuada la Women’s Christian Association d’ouvrir un foyer pour anciennes prisonnières, le Haven. Afin de financer cet établissement (baptisé Toronto Prison Gate Mission), elle utilisa le même procédé que dans le cas de l’hôpital pour enfants : lancer le projet et laisser aux citoyens enclins à la philanthropie le soin de fournir les ressources nécessaires. Devenue en plus, dès 1878, secrétaire d’administration de la section torontoise de la Woman’s Christian Temperance Union – organisme implanté en Ontario par Letitia Youmans [Creighton*], peut-être une lointaine cousine –, Mme Harvie participa à l’établissement de cet organisme à l’échelle de la province. Adhérer à ce mouvement dut être facile pour elle : son père et son mari avaient vécu dans des localités dévastées par l’alcoolisme et prônaient la prohibition.
Les activités bénévoles d’Eliza Jane Harvie étaient entrecoupées de crises domestiques. En 1878, la Northern Railway Company nomma son mari chef de la nouvelle gare Union de Toronto, ce qui déplut à celui-ci. Il perdait la maison fournie par la compagnie mais, comme il faisait un peu d’immobilier, il en trouva une autre. Sa mauvaise santé l’obligea à prendre un long congé et à aller se reposer en Écosse – Mme Harvie resta à Toronto à s’inquiéter pour l’avenir –, et il prit finalement sa retraite de la Northern Railway Company en 1881. Mme Harvie se faisait également du souci pour sa fille aînée, Jean Ferguson, d’un tempérament rebelle. Elle réussit à trouver de quoi l’occuper au conseil d’administration de la Women’s Christian Association et au comité féminin du Hospital for Sick Children, dont elle était présidente. Jean Ferguson se maria en 1885. La même année, John Harvie devint secrétaire permanent de l’Upper Canada Bible Society, et le père de Mme Harvie eut une violente crise d’apoplexie. (Par la suite, les Creighton s’installèrent chez les Harvie.)
Du fait de son travail pour l’hôpital, Eliza Jane Harvie connaissait Emily Howard Stowe [Jennings*] et Jenny Kidd Trout [Gowanlock], deux médecins qui appartenaient aussi au conseil de la Women’s Christian Association. Forcées d’aller aux États-Unis pour avoir leur diplôme, elles étaient bien résolues à faire en sorte que les femmes puissent étudier la médecine à Toronto. En 1886, elles ouvrirent le Woman’s Medical College ; Mme Harvie en était trésorière. Ce fut probablement par son entremise que la fille d’Emily Howard Stowe, Ann Augusta*, devint médecin suppléant à la Prison Gate Mission. Le foyer Haven était une source de tensions pour la Women’s Christian Association. La plupart des membres du conseil d’administration préféraient les aspects les plus convenables de l’établissement, telle l’instruction chrétienne, mais à titre de secrétaire d’administration et de présidente à compter de 1887, Mme Harvie veillait à ce que les choses aillent rondement. Sous sa direction, le foyer s’ouvrit à « toutes les femmes égarées » (pas seulement les ex-détenues), la ville fut divisée en districts pour des collectes de fonds systématiques, et un nouveau bâtiment fut construit. Mme Harvie s’intéressait toujours au sort des ouvrières : en mai 1887, elle devint la présidente fondatrice de la Young Women’s Christian Guild de Toronto (organisme très populaire auquel succéderait la Young Women’s Christian Association de Toronto). Un différend naquit entre la guilde et l’association à cause d’un legs de William Gooderham* à une organisation qui pouvait être l’une ou l’autre de ces dernières. L’affaire fut portée devant les tribunaux mais se régla à l’amiable.
En 1894, un an après que Mme Harvie eut assisté au Woman’s Congress tenu à Chicago par la National American Woman Suffrage Association, la Woman’s Foreign Missionary Society décida d’envoyer deux membres de son comité de direction dans l’Ouest pour observer ses activités là-bas et particulièrement pour voir si les cueillettes de vêtements et de couvertures étaient justifiées. Le 1er août 1894, Eliza Jane Harvie et la secrétaire des approvisionnements Cecilia Mary Jeffrey se mirent en route en compagnie de leur mari. Le groupe suivit un itinéraire tracé par le révérend Andrew Browning Baird, du collège de Manitoba. De retour le 18 septembre, Mme Harvie avait parcouru quelque 4 300 milles par train et par vapeur et plus de 600 milles de pistes. Les dames avaient visité l’ensemble des écoles de réserve et missions presbytériennes ainsi que tous les groupes de bénévoles qui soutenaient la société au Manitoba et dans le Nord-Ouest. Leur rapport reflète la mentalité de l’époque concernant l’aide aux autochtones et leur assimilation. Les écoles étaient bien tenues, le personnel des missions et les enseignants étaient dévoués, les autochtones qui s’étaient convertis et qui vivaient à proximité des missions étaient dans une meilleure situation que ceux qui n’avaient pas embrassé le christianisme. Mmes Harvie et Jeffrey concluaient qu’il fallait plus d’argent et que les vêtements et couvertures étaient d’une importance vitale.
Dans les années 1890, de grands changements se produisirent dans la vie d’Eliza Jane Harvie. En 1891, à l’issue d’une longue bataille, le conseil d’administration du Hospital for Sick Children, exclusivement composé d’hommes et dirigé par John Ross Robertson*, retira au comité féminin tout le contrôle des finances. Les investissements immobiliers du mari de Mme Harvie souffrirent de la récession, sa fille Laura quitta la maison afin d’épouser son cousin le révérend William Black Creighton (pour qui Mme Harvie trouverait un emploi au Christian Guardian), son fils – un garçon dépourvu d’ambition – se maria enfin, son père mourut en février 1892 et sa mère en décembre 1895. Les Harvie s’installèrent alors dans une pension. Libérée de bien des contraintes (elle avait notamment démissionné de ses fonctions à la Woman’s Foreign Missionary Society et à la Prison Gate Mission), elle put accepter en avril 1896 un poste rémunéré en travail social. Elle devint la première assistante de John Joseph Kelso*, qui venait d’être nommé surintendant ontarien de l’enfance abandonnée. À ce titre, elle devait parcourir la province pour rendre visite aux enfants placés en famille d’accueil et faire rapport sur leur situation. Cette tâche exigeante lui convenait très bien, et elle l’entreprit avec tout l’enthousiasme qu’elle avait manifesté à la Woman’s Foreign Missionary Society et à la Women’s Christian Association. Dans la seule année 1905, elle fit 830 visites. Elle prendrait sa retraite seulement en 1911, à l’âge de 71 ans, deux ans après que son mari aurait quitté la société biblique.
Après avoir logé dans une série de pensions, les Harvie mirent fin à leur existence nomade en emménageant dans un appartement situé dans la demeure de leur fille Jean Ferguson. En 1917, John Harvie mourut dans un sanatorium. Eliza Jane Creighton Harvie resta avec Jean Ferguson jusqu’au décès de celle-ci en 1923. Elle passa ses dernières années chez Laura. Jusqu’à la fin, elle fut du genre à faire la leçon aux membres de sa famille et aux visiteurs.
Le travail accompli par Eliza Jane Harvie pour la Women’s Christian Association, le Prison Gate Mission and Haven, la Toronto Young Women’s Christian Guild et le Hospital for Sick Children est mentionné dans les rapports annuels de ces organismes, documents reproduits sur microfiches par l’ICMH. Ses rapports de visite adressés à la direction de l’enfance abandonnée du département du Secrétaire provincial se trouvent dans Ontario, Legislature, Sessional papers.
AO, RG 80-8-0-1119, nº 5256.— Globe, 24 juin 1929.— Annuaire, Toronto, 1880–1885.— Canadian men and women of the time (Morgan ; 1912).— Philip Creighton, « John Harvie », York Pioneer (Toronto), 81 (1986) : 1–15.— EPC, Woman’s Foreign Missionary Soc. (div. de l’Ouest), Monthly Letter Leaflet (Toronto), 1884–1896 (conservé sur microfiches par l’ICMH).
Philip Creighton, « CREIGHTON, ELIZA JANE (Harvie) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 9 oct. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/creighton_eliza_jane_15F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/creighton_eliza_jane_15F.html |
Auteur de l'article: | Philip Creighton |
Titre de l'article: | CREIGHTON, ELIZA JANE (Harvie) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2005 |
Année de la révision: | 2005 |
Date de consultation: | 9 oct. 2024 |